Tout a commencé en décembre 2002, lorsqu’Agnès Pointet et son mari ont acheté une nouvelle table chez Moyard SA, à Morges. «Nous avons choisi un modèle en verre de la Ligne Roset, parce que nous avions confiance en cette marque», explique notre lectrice d’Echandens.
Livrée le 17 janvier dernier, la table a dès lors été utilisée pour les repas en famille. Mais moins de trois semaines plus tard, l’un des deux plateaux de verre explosait littéralement. Par chance, personne ne se trouvait dans la pièce ce jour-là.
Les Pointet ont immédiatement averti la maison Moyard, réclamant le remplacement de la table sous garantie. Jean Winkler, directeur du magasin, refuse. Il déplore ce qui est arrivé, mais estime que «la table n’avait aucun défaut. Ce sont des choses qui arrivent parfois avec le verre, même si c’est très rare». Après plusieurs discussions, estimant faire un geste commercial, M. Winkler propose de remplacer le plateau si les Pointet acceptent d’en payer la moitié. De plus, il offre de remplacer gratuitement le deuxième plateau resté intact. Après avoir longuement hésité, le couple Pointet accepte.
Choix du matériau
Mais comment peut-on vendre un matériau qui peut se révéler dangereux? Alfred Neuenschwander, souffleur de verre en appareils scientifiques à l’EPFL (Ecole
polytechnique fédérale de Lausanne), explique: «Les fabricants de meubles utilisent du verre précontraint, plus connu sous le nom de sécurit. Ils pensent bien faire car, comparé au verre normal, il présente un moindre risque d’accident grave.» En effet, le verre normal se casse en grands morceaux pouvant causer de graves lésions, tandis que le verre précontraint est conçu pour se fissurer en tout petits morceaux. Les blessures possibles sont alors plus nombreuses, mais aussi plus superficielles, épargnant les organes vitaux.
Un choc infime suffit
«C’est tout à fait possible qu’un verre explose sans que personne ne soit présent, comme chez vos lecteurs, explique Alfred Neuenschwander. Pour faire une plaque en verre précontraint, on la chauffe jusqu’au stade de ramollissement, puis on la refroidit très vite. Ainsi, la partie extérieure durcit rapidement et lorsque l’intérieur se solidifie à son tour, la dilatation provoque des tensions.» Dès lors, il suffit d’un choc, même infime, pour que ces tensions se relâchent. La pire chose: poser brusquement un verre sur du verre. Il se peut que rien ne se produise sur le moment, mais à la moindre variation atmosphérique, des fissures vont se former, dans un laps de temps variable, pouvant être instantané ou si lent que le verre ne casse qu’après des années. «Tout dépend de l’endroit sur le verre où le choc a eu lieu», précise le spécialiste.
Manque d’information
Le verre précontraint n’est plus utilisé dans l’industrie du bâtiment et de l’automobile, car il ne répond plus aux normes de sécurité. Depuis une vingtaine d’années, une nouvelle technique de fabrication a progressivement été adoptée par les milieux industriels. On l’appelle le verre sandwich: il est composé de plusieurs couches de verre, entre lesquelles sont placées des feuilles de plastique. Il est ainsi beaucoup moins fragile et il faut un véritable choc pour le fissurer. Toutefois, il ne se casse pas.
Or, dans le secteur des meubles, il n’y a pas de réglementation spécifique pour l’utilisation du verre, ce marché n’étant pas
très important. Pourtant, le verre sandwich est presque meilleur marché que le précontraint. «Les menuisiers continuent à utiliser ce dernier uniquement par habitude et par méconnaissance du verre sandwich, note Alfred Neuenschwander et de conclure: Pour abolir le sécurit dans le mobilier, il suffirait que les commerçants exigent de leurs fournisseurs d’utiliser du verre sandwich, ce qui ne représente aucun inconvénient pour eux.»
Y.-A. C.
Ce que dit la loi
L’utilisation normale doit être garantie
Du point de vue légal, la maison Moyard SA, à qui les Pointet ont acheté leur table, doit réparer le dommage à ses frais, même si aucun défaut n’était apparent à la livraison. En effet, selon le Code des obligations, le défaut se définit comme l’absence d’une qualité dont le vendeur avait promis l’existence ou à laquelle l’acheteur pouvait s’attendre. En ce sens, l’explosion d’un plateau en verre en est un, puisque le vendeur est tenu de garantir une certaine résistance, permettant ainsi une utilisation normale de la table.
Pourtant Jean Winkler, directeur de Moyard SA, refuse d’entrer en matière, car il estime qu’il faudrait la preuve que la table a été utilisée de manière normale avant qu’elle n’éclate. Mais selon la loi, c’est à lui de prouver que les Pointet n’ont pas utilisé leur table normalement. Nos lecteurs étaient donc dans leur bon droit en exigeant le remplacement de cette table.
A relever encore que si des dégâts matériels ou des lésions corporelles sont provoqués par le défaut d’une marchandise, la victime doit supporter jusqu’à 900 fr. de frais, le surplus étant à la charge du fabricant.