Depuis début février, des affiches dans les bus et sur les murs de 20 villes suisses en appellent au public pour devenir donneur de cellules souches de sang. Cellules souches? La notion est souvent encore assimilée au clonage embryonnaire ou à un simple don de sang, révèle un sondage de la Fondation Suisse Cellules souches du sang (1).
Cet organisme, chargé de coordonner le don de ces cellules sur le plan suisse et en collaboration avec les registres de donneurs d’une soixantaine de pays (11,8 millions de donneurs au total), mène actuellement le dernier volet d’une campagne nationale d’information sur ce sujet complexe. Avec sa directrice médicale, le Dr Grazia Nicoloso de Faveri, MA SANTÉ fait le point en sept questions.
1. Qu’est-ce que des cellules souches du sang?
Ces cellules sont issues de la moelle osseuse, à ne pas confondre avec la moelle épinière (située dans la colonne vertébrale). La moelle osseuse, un tissu mou situé au centre des os tels les côtes et l’os iliaque (du bassin) est vitale.
En effet, c’est elle qui produit les cellules souches dites hématopoïétiques, celles qui produisent les cellules du sang:
- les globules rouges, servant au transport de l’oxygène;
- les globules blancs, protégeant contre les infections;
- les plaquettes, qui arrêtent les saignements.
2. Qui a besoin d’un don de ces cellules?
Les malades nécessitant une greffe de cellules souches du sang, soit des enfants et des adultes (jusqu’à l’âge de 80 ans), atteints de maladies du sang ou de la moelle osseuse, surtout:
- des leucémies;
- certaines formes de myélomes (cancers de la moelle osseuse);
- des lymphomes (cancers du système lymphatique);
- des maladies génétiques non malignes telles des aplasies médullaires (arrêt du fonctionnement de la moelle osseuse);
- des anomalies héréditaires de la fabrication des globules rouges.
Ce catalogue continue à s’élargir. Depuis peu, les greffes servent aussi dans d’autres indications, dont certains cancers (sein, ovaires et reins) ainsi que la polyarthrite rhumatoïde.
3. Comment agissent les cellules transplantées?
Le transplant remplace les cellules souches sanguines du receveur. Ainsi, son système hématologique et immunitaire s’adapte à vie à celui du donneur. C’est tout le contraire d’une transplantation d’organe, par exemple du cœur, où le greffé garde son propre système hématologique et immunitaire.
4. Où et comment sont prélevées les cellules souches?
Les greffons peuvent être issus de trois sources différentes:
> Les cellules souche de moelle osseuse: elles sont ponctionnées à l’aide d’une seringue dans l’os iliaque (bassin), sous anesthésie générale. Le donneur reste hospitalisé un à deux jours. Il ressentira une fatigue due à l’anesthésie, et des douleurs au bassin. Sa moelle se reconstituera rapidement.
Ce prélèvement est effectué dans des centres spécialisés, à Bâle, Genève et Zurich.
> Les cellules souches du sang périphérique (par opposition au compartiment «central» de la moelle): elles sont prélevées sans hospitalisation ni anesthésie.
Pendant les cinq jours précédant le prélèvement, le donneur reçoit des injections sous-cutanées de facteurs de croissance, afin de stimuler la fabrication de ces cellules par la moelle osseuse. Sans quoi, leur quantité dans le sang périphérique est insuffisante pour une greffe.
Le prélèvement se fait par un cathéter veineux, posé dans le bras. Le sang passe dans une machine, un séparateur de cellules, qui retient les cellules mobilisées. Le reste est réinjecté au donneur par un autre cathéter.
L’administration des facteurs de croissance peut provoquer des douleurs articulaires, et musculaires, similaires à celles de la grippe. Les prélèvements se font dans les mêmes centres que ceux de la moelle.
C’est le médecin transplanteur qui choisit le genre de cellules souches qu’il faut pour son patient. Le donneur, lui, est bien sûr libre de choisir la forme de don qu’il est prêt à faire.
> Les cellules souches de cordon ombilical: elles ne sont prélevées et stockées en Suisse que depuis peu. Un travail effectué par des spécialistes (à Genève, Bâle, Liestal et bientôt au Tessin), juste après la naissance, en suivant des procédures rigoureuses, sans danger pour le bébé et la mère.
Avantage: ces cellules ne sont pas encore totalement à maturité. Leur administration suscite donc moins de réactions de rejet dans l’organisme du receveur, même si le donneur n’est pas tout à fait compatible.
Congelées dans de l’azote liquide, elles se conservent pendant de longues années et sont disponibles rapidement. Seul inconvénient: leur quantité est plus réduite. On y recourt donc essentiellement pour des enfants ou des adultes pesant moins de 50 kilos.
Le sang de cordon est stocké dans l’une des deux banques publiques du pays, à Genève ou à Bâle, en vue d’un don public. Les parents d’enfants atteints de certaines maladies peuvent également y faire stocker les cellules de cordon s’ils ont un autre bébé, en vue d’une greffe ultérieure (don dirigé).
5. Y a-t-il des banques privées de sang de cordon en Suisse?
Il en existe trois (Cryosafe, Swiss Stemcell, Vita34). Le sang y est conservé pour le cas où l’enfant serait un jour atteint d’une maladie, avec l’espoir qu’alors les progrès de la science permettront de soigner davantage de maux en implantant ces cellules. Prix (prélèvement et stockage): environ 3000 fr.
Il existe 1 chance sur 10 000 que l’enfant ait besoin de ses cellules (*). C’est peu au vu des chiffres du don public: sur les 300 000 unités stockées à ce jour, 6000 ont été utilisées pour soigner un enfant. Soit bien plus que la vingtaine sur les 2 millions dans le monde conservées pour des particuliers.
6. Ne faut-il pas un donneur apparenté pour être compatible?
Pour qu’une greffe réussisse, la moelle osseuse du donneur et du malade doivent avoir le même groupe tissulaire (appelé HLA), à ne pas confondre avec le groupe sanguin. Cela peut être le cas entre frères et sœurs. Mais seulement dans 1 cas sur 4. Donc, si personne dans la fratrie, ni dans la famille plus éloignée, n’est compatible, il faut une greffe d’un donneur hors famille.
On recourt également à l’autogreffe, à savoir, à la transplantation des cellules souches du sang du malade. Par exemple dans certaines maladies auto-immunes ou lorsque son groupe HLA est trop rare pour trouver un donneur .
7. Qui peut être donneur et comment le devenir?
Toute personne âgée de 18 à 45 ans, en bonne santé. A relever que les chances qu’un jour le donneur soit appelé sont très faibles, vu qu’il doit être compatible avec le receveur. D’ailleurs, les dons peuvent bénéficier à des patients en Suisse ou à l’étranger. La Fondation Cellules souches fait en effet partie d’un réseau mondial de registres, reliés par un système informatique puissant, permettant de rapidement trouver un donneur.
L’inscription au registre suisse de donneurs se fait dans un service régional de transfusion sanguine (2). Mais la décision ne doit pas être prise à la légère. Car cela implique non seulement des coûts (frais administratifs, analyses, etc.), mais aussi, et surtout, un espoir pour le receveur le jour venu. Le volontaire (dont on préserve l’anonymat, tout comme celui du receveur) peut changer d’avis à tout moment. Mais il doit être conscient que cela peut représenter la perte du dernier espoir pour le receveur.
Ellen Weigand
(1) Fondation Suisse Cellules souches du sang, cp 7951, 3001 Berne, tél. 031 380 81 51;
www.cellules-souches-sang.ch
(2) www.transfusion.ch
Bonus Web: Banques privées de cellules souches de sang ombilical
Témoignages
Guéri grâce à une greffe de moelle osseuse
C’est à l’âge de 40 ans que Daniel Jagot-Lachaume découvre, lors d’un checkup de routine, qu’il est atteint d’une leucémie à un stade déjà avancé. «Je ne m’étais aperçu de rien», raconte-t-il. Seul traitement pour tenter de le sauver: une greffe de cellules souches, alors encore appelée greffe de moelle osseuse.
Par chance, son unique frère a le même groupe HLA que lui et accepte immédiatement de lui donner de sa moelle.
Deux transplantations
Daniel subira deux greffes en trois ans. La seconde après une rechute, il y a dix-sept ans. Des traitements très, très lourds (chimiothérapie, radiothérapie, isolation complète, etc.) et douloureux, dont cet informaticien, aujourd’hui âgé de 61 ans, porte encore des stigmates: «La deuxième greffe était bien plus dure à supporter, se souvient-il.
»Depuis, mes cheveux n’ont jamais vraiment repoussé, mes ongles sont restés très cassants et je n’ai jamais retrouvé ma masse musculaire. Mais ce sont là des détails sans importance, sourit-il. J’ai pu guérir, retravailler avec le même entrain et même prendre un poste à responsabilité dans mon métier qui me passionnait. J’ai pu mener une vie normale et sans médicament depuis toutes ces années grâce à ces greffes.»
Aujourd’hui, ce père de deux enfants profite de sa retraite anticipée avec sa femme, Denise.
Pour offrir une présence et un soutien aux (futurs) greffés, ainsi qu’à leurs proches, et également pour promouvoir le don de cellules souches, Daniel fait partie de l’Association romande des greffés de la moelle osseuse (1). C’est là qu’il a rencontré Monique Avanthay.
De prime abord, rien chez cette souriante sexagénaire ne porte à croire qu’elle souffre d’un myélome. Ce cancer de la moelle osseuse a été détecté en 2004. Monique a alors également subi une greffe de cellules souches. Mais une autogreffe, soit avec des cellules souches de son propre corps.
Car, atteinte d’une anomalie des plaquettes sanguines et d’une maladie rénale, la chance de lui trouver un donneur compatible était infime. Vu ces autres problèmes de santé, le lourd traitement a failli la tuer: «Un jour, lors de mon hospitalisation pour l’autogreffe, un médecin est venu à mon chevet pour me demander si j’avais bien rempli les papiers pour avertir ma famille...». Mais la greffe a fini par porter ses fruits. «En quelques mois, j’ai repris goût à la vie.» Un goût qu’elle n’a pas perdu, même si le mal a refait surface, et qu’elle n’a pas supporté deux nouveaux traitements lourds. «Actuellement, je suis en pause de traitement. Je fatigue très vite et ne peux plus faire de haute montagne, ce que j’adorais. Mais je profite autrement de la vie.»
Courage exemplaire
Malgré sa fatigue, malgré l’énergie énorme que lui demande déjà son combat contre sa maladie, Monique témoigne encore auprès de personnes nécessitant une greffe pour les y encourager. Et elle a témoigné dans le cadre de la formation continue pour les soignants et travaille avec les spécialistes en oncologie du CHUV pour améliorer la prise en charge des patients. Enfin, elle œuvre pour le don de cellules souches. «Donnez vos cellules, c’est un geste simple, gratuit, et qui sauve des vies!»
(1) www.gmosuisseromande.ch