Au cours d’une séance de lèche-vitrines entre copines, Maïla Balderrama repère les baskets de ses rêves dans le magasin Bata de la Croix d’Or, à Genève. Mais son portefeuille ne regorge pas de billets de banque: elle n’a que treize ans. Les chaussures coûtent près de 80 fr. Maïla devra demander l’argent à sa mère. En attendant, elle s’enquiert auprès de la vendeuse s’il est possible de réserver les baskets jusqu’au lendemain.
«On m’a répondu que oui, à condition que je verse une caution de 10 fr. La vendeuse a rempli un papier et j’ai payé la somme.» Pendant ce temps, les copines de notre jeune lectrice s’interrogent sur ce qu’est une caution et l’une d’entre elles explique que, si on renonce à l’achat, on peut récupérer l’argent. «La vendeuse est alors intervenue, explique Maïla, et m’a dit que si je ne prenais pas les baskets, la caution ne serait pas remboursée. Cela ne nous a pas semblé normal, mais je ne savais pas trop quoi dire.»
Cette pratique n’est, en effet, pas vraiment «normale» ou du moins pas «habituelle». C’est en tout cas ce que révèle un bref sondage effectué auprès d’une quinzaine de magasins fréquentés par les adolescents de Suisse romande. Aucun n’agit de
la sorte. H&M et Promod réservent gratuitement les articles pendant, respectivement, 24 et 48 heures. Kookaï et Benetton, eux, acceptent un délai plus long, mais un acompte est alors souvent demandé.
Mauvaise habitude
Cette démarche serait-elle donc spécifique à Bata? «Absolument pas, répond Alain Martinoli, responsable des ventes Bata en Suisse romande. Jamais nous n’avons demandé à nos vendeurs de ne pas rembourser un acompte. Dans le cas précis de votre lectrice, cette manière de faire est une initiative d’une ancienne gérante du magasin de la Croix d’Or. Malheureusement, après son départ, cette mauvaise habitude s’est perpétuée.» Les gérantes de quatre autres magasins Bata que nous avons contactées confirment: elles restituent toujours l’argent.
Légal
Si la petite mésaventure de Maïla était inhabituelle, était-il pour autant illégal de ne pas vouloir rendre l’argent? La réponse est non. En fait, au lieu d’acompte, il serait plus exact de parler d’arrhes. Ce terme, un peu moyenâgeux, définit le versement d’une somme en guise de réservation. Et, selon le Code des obligations, les arrhes ne sont ni remboursées, ni déduites du prix total lors de l’achat, sauf «usage local ou convention contraires».
Ainsi, au vu de la pratique locale démontrée par notre bref sondage, la cliente pourrait demander le remboursement de l’acompte. Mais, en Suisse, en vertu du principe de liberté contractuelle, le vendeur et son client peuvent fixer librement et valablement les conditions de la réservation. Donc, s’il a été convenu au préalable par les deux parties que l’argent versé ne serait pas remboursé, cette pratique est valable, même si elle est contraire à l’usage local...
Pas de contrat avec des mineurs
Le jeune âge de Maïla oblige toutefois à nuancer encore. Ayant moins de 18 ans, elle n’a normalement pas le droit de conclure des contrats sans l’accord de ses parents. Demander un acompte à un mineur est donc critiquable, mais pas forcément illégal. En effet, les mineurs peuvent utiliser librement leur argent de poche, dans la mesure où cela ne les empêche pas de faire face à leurs éventuelles dépenses courantes.
Dix francs, est-ce déjà un montant trop élevé pour un enfant de 13 ans? Cela se discute au cas par cas. Toutefois, si la somme est trop élevée, les parents peuvent casser le contrat, en annonçant immédiatement au vendeur qu’ils ne donnent pas leur accord.
Les excuses de Bata
Prudent, Alain Martinoli demande à ses vendeurs de ne pas exiger d’acompte des mineurs et a rappelé ses consignes aux employés du magasin Bata de la Croix d’Or.
Quant à Maïla, elle n’a pas attendu que Bon à Savoir s’en mêle. Dès le lendemain, elle est allée réclamer ses 10 fr., en compagnie de sa mère. «Au début, la vendeuse ne voulait pas, argumentant qu’elle m’avait prévenue, raconte-elle. Elle a changé d’avis en apercevant ma mère.» Avisé de l’incident, la direction de Bata a accompagné ses excuses d’un bon d’achat de 20 fr.
Et les fameuses baskets dans cette histoire? Maïla les a finalement achetées... mais dans un autre magasin.
J. D.
conseils pratiques
Comment réserver
Les conditions qui régissent la réservation, par exemple d’une paire de chaussures, dépendent de l’accord que le client et le vendeur auront passé. Vous ne pouvez donc pas exiger d’un commerçant qu’il retire gratuitement de la vente un article. Dès lors:
• fixez clairement la durée de la réservation;
• si vous versez un acompte, demandez un reçu;
• vérifiez qu’il soit prévu qu’on vous rembourse cet acompte si vous vous désistez, ou qu’on le déduise du montant total si vous achetez.