Des fourreurs suisses utilisent-ils la peau de chats et de chiens domestiques élevés à cette fin pour confectionner des parties de vêtements – cols, capuchons, revers de manches – voire des manteaux entiers, sans parler de peluches pour enfants? C’est en tout cas ce qu’affirme le magazine tessinois Scelgo Io, qui dispose d’indices sérieux pour appuyer ses dires.
Selon un article publié en février dans cette nouvelle revue de consommation, les fourrures de chiens et de chats sont très prisées en Russie, mais pas en Europe occidentale, où le rapport affectif tissé avec nos compagnons à quatre pattes rend choquante l’idée d’en faire des pelisses.
D’après Scelgo Io, nombreux seraient les commerçants helvétiques à enjamber cette mince barrière morale pour utiliser les peaux de chats et de chiens, d’excellente qualité pour un prix très bas (9 dollars la peau de berger allemand, 3 dollars environ pour un chat). Et cela généralement à l’insu de leur clientèle, puisque toutous et matous arborent dans ce contexte des noms exotiques aussi innocents que sobaki, gou-pi ou china wolf pour Médor, goyangi, wild cat ou house cat pour Mistigri.
Rien d’illégal
Une prudence qui ne vise qu’à préserver la sensibilité des porteurs ou porteuses de fourrure, puisqu’aucune restriction ne vient frapper l’importation de la fourrure de chats et de chiens. Suite à un film diffusé sur l’émission Kassensturz (l’équivalent alémanique d’A Bon Entendeur) la section bâloise de la Protection suisse des animaux a bien déposé une pétition au Conseil national en 2001, demandant l’interdiction de ces importations, mais elle a été repoussée par une forte majorité d’élus.
L’exception italienne
L’absence de réglementation à ce sujet en Suisse est d’ailleurs semblable à la situation dans le reste de l’Europe. A l’exception de l’Italie, où une ordonnance provisoire interdit depuis cette année le commerce, la détention et le travail des peaux de chats et de chiens. La Ligue antivivisection (LAV) a en effet pu démontrer, analyse ADN à l’appui, que des joujoux en fourrure de chiens étaient vendus par les grands magasins Oviesse et Upim. Ceux-ci ont immédiatement retiré les articles incriminés de leurs rayons.
En Suisse, rien d’aussi patent: si certaines associations de défense des animaux ont des soupçons, elles attendent de disposer de preuves pour porter des accusations de commerce à large échelle. L’enquête menée incognito par le journaliste de Scelgo Io chez les fourreurs tessinois n’en est pas moins édifiante: sur 10 boutiques, six étaient prêtes à entrer en matière sur la commande ou la confection d’un manteau en chat. L’un d’eux proposait d’ailleurs une alternative intéressante: confectionner le manteau avec des peaux fournies par le client, ou lui vendre un manteau de chat du Bengale, une race figurant sur la liste des espèces en danger…
Le plus frappant, c’est qu’en dépit de tous les noms fantaisistes à disposition des fourreurs, certains distributeurs affichent une transparence à la limite de la candeur… Telle l’entreprise de vente par correspondance Jelmoli, qui propose en page 31 de son catalogue automne-hiver 2001 un joli sac à main en «fourrure canine», assorti au col de même poil. Ou quand la mode donne une irrépressible envie de faire le beau.
Blaise Guignard
Comme chiens et chats
• Des fourreurs suisses utilisent-ils des peaux de chiens ou de chats?
Jacques Sinz, président de l’Association professionnelle suisse de la fourrure (APSF): A ma connaissance, aucun fourreur suisse ne travaille des peaux de chiens. Mais l’APSF ne regroupe pas tous ceux qui font commerce d’objets ou de vêtements en fourrure; je ne peux parler que pour les artisans fourreurs dont je connais les méthodes de travail et l’éthique. Quant aux chats, je confectionne personnellement chaque année 2 ou 3 ceintures de peaux de chats domestiques, réputées — à tort ou à raison — bonnes contre les rhumatismes.
Barry Gilbert-Miguet, porte-parole de Fur Free Alliance, mouvement international contre la fourrure: Pour les chiens, il n’y a rien de concret en ce qui concerne la Suisse. Même si je n’en serais pas étonné, il ne s’agit pour l’instant que de soupçons, sans confirmation. Il faut dire que ces objets, s’ils sont importés, le sont probablement de façon discrète, dissimulés sous des noms exotiques, et pas forcément avec la «complicité» des commerces qui les distribuent ensuite.
• N’y a-t-il pas quelque chose de choquant à utiliser ainsi les dépouilles de nos amis à quatre pattes?
Jacques Sinz: Non, tant qu’il s’agit de chats domestiques provenant de Suisse ou d’Europe. Lorsque mes enfants étaient petits et enrhumés, je les couchais vêtus d’un gilet en peau de chat, pour les tenir au chaud… Il est vrai que je
suis d’une région où l’on n’accorde pas à l’animal la valeur affective supérieure qu’on lui donne parfois en ville.
• Que penser du fait qu’un fourreur, membre de l’APSF, propose d’importer un manteau de fourrure d’une espèce protégée?
Jacques Sinz: Si c’est avéré, il mérite de se faire secouer…