Nicolas, 12 ans, est d’abord resté interloqué, puis s’est fâché: «Non, mais c’est pas vrai!» Si, c’était vrai... Alors qu’il venait à peine d’entamer ses vacances estivales, les panneaux publicitaires le rappelaient d’ores et déjà
à l’ordre en lui parlant de rentrée, de cahiers et de cartable! Nous étions le
20 juillet, les soldes – où ce qu’il en reste – prenaient fin et il fallait bien les remplacer par quelque chose.
Veste en duvets
A la même époque, un de nos lecteurs a, lui aussi, cru tomber à la renverse: alors que la température dépassait largement les 30oC, un grand magasin lausannois exposait sans hésiter les premières vestes d’hiver en duvet. Impossible, en revanche, de trouver un pantalon en lin à sa taille (malheureusement très standard) et des chaussures légères un tant soit peu originales à sa pointure (pas malin de faire du 42 comme tout le monde...). De bottine sen collection d’automne, il a finalement opté pour une paire assez quelconque, jurant que l’an prochain, il s’y prendra avant la fin de l’été, c’est-à-dire avant le 21 juin!
Cette morale n’a malheureusement rien d’une boutade dans le monde très irréaliste de la mode vestimentaire. «Tout s’enchaîne, explique Claudia Torrequadra, responsable des relations publiques pour les magasins Bon Génie. Dès le début du mois de juin, la presse relate les défilés présentant les nouvelles collections d’automne et d’hiver, les fournisseurs nous livrent la marchandise et nous l’exposons sans tarder. Finalement, nous ne sommes que l’avant-dernière étape d’une longue chaîne. Le dernier maillon, c’est bien sûr la cliente, qui attend et réclame la nouveauté. Et croyez bien qu’elle achètera les bottines qui lui font envie, même s’il fait 35oC dehors!»
Une constatation que confirme Jean Pilloud, qui tient un commerce de chaussures à Fribourg: «Nous sommes le 6 août et complétons nos vitrines d’automne. J’ai certes gardé une petite place pour les soldes et une autre pour les sandalettes, mais c’est une offre surtout destinée aux touristes. La majorité de ma clientèle choisit ses chaussures d’été en mars déjà. Dès aujourd’hui, elle va s’intéresser à l’hiver, quelle que soit la température extérieure!» Pourtant, il constate que le décalage entre la mode et les saisons s’accentue d’année en année: «Il y a 20 ans, se rappelle Jean Pilloud, nous ne sortions la collection d’automne qu’à la rentrée scolaire. Aujourd’hui, pour ne pas se laisser dépasser par la concurrence, c’est chose faite à la mi-juillet.»
Cycle infernal
En fait, tout se passe comme si personne ne pouvait enrayer le cycle infernal. «Nous avons souvent des clients qui nous reprochent de ne pas mieux adapter notre offre à la saison réelle, admet Domenico Tuminnelo, chef de vente de la confection dame chez Globus. Il est vrai qu’aujourd’hui (réd.: nous sommes toujours le 6 août), seuls 10% de notre marchandise est estivale. Mais c’est comme ça partout, et je crains que cela ne s’arrange pas, au contraire! Comme les soldes ont été dérégulées, elles commencent de plus en plus tôt (vers le 20 juin à Genève cette année). Or, nous ne pouvons pas nous permettre de les faire trop traîner, et nous les remplaçons donc aussitôt par les nouvelles collections.»
Les grandes surfaces n’agissent pas autrement, même si elles tentent désespérément de mieux coller à la torride réalité de la météo: «C’est une situation assez paradoxale, commente Léon-Philippe Haymoz, responsable de l’habillement pour Migros Neuchâtel et Jura. Nous en sommes les investigateurs et nous la subissons en même temps! Comme la durée de vie d’un vêtement est de plus en plus courte, alors que les frais de stockage sont de plus en plus élevés, nous cherchons à terminer au plus tôt la saison, afin d’éviter les surplus. C’est une façon de faire qui se généralise très clairement depuis quatre, cinq ans. Cela dit, aujourd’hui encore (réd.: le
7 août), il me reste 60% de vêtements d’été, presque tous proposés avec des prix à la baisse.»
Maillot de bain
Mais l’effet inverse existe aussi. Manuela Schillaci, gérante du magasin Beldona,
à Vevey, a reçu début août
une nouvelle collection de maillots de bain. Il est vrai que Beldona est spécialisé en dessous et en habits de loisirs. Les maillots de bain sont d’ailleurs mis en vitrine dès le mois de mars, mais vendus en février déjà, parfois lorsqu’il y a 20 cm de neige dehors! «Contrairement à la fin de l’été que les gens redoutent», remarque Manuela Schillaci, «ils sont vite lassés de l’hiver et sont heureux de le quitter le temps d’un essayage.»
Donc, l’hiver commence début juillet et l’été en février... Eh bien ma brave Dame, la chose est désormais confirmée: il n’y a plus de saisons!
Christian Chevrolet