L’aloe vera est censé régénérer le corps, rajeunir la peau, apaiser les brûlures, cicatriser les coupures, lutter contre le cancer ou encore soigner les névrodermites, une affection cutanée provoquant des démangeaisons…
La longue liste des bienfaits qui lui sont attribués explique la multiplication de produits fabriqués à partir de cette plante, qu’on appelle aussi le lis du désert.
Une des plus importantes multinationales productrices d’aloe vera, la société américaine Forever Living Products (FLP), indique avoir atteint, en 2002, un chiffre d’affaires de 2,4 milliards de francs. Voilà cinq ans qu’elle est présente sur le marché suisse, où un litre de jus d’aloe se négocie à 38 fr. «Ces dernières années, notre chiffre d’affaires a progressé annuellement de 30 à 60%», se réjouit le directeur commercial, Max Stalder.
Aux clients de payer la pub
En février dernier, Emmi a lancé le yoghourt Aloe Vera sensitive et le yoghourt-drink du même nom (proportion de fruits: 10%). Une affaire en or pour Coop, qui distribue ces produits: «Les ventes vont au-delà de nos prévisions», confirme le porte-parole Jörg Birnstiel. Et cela, bien que les clients doivent débourser 1 fr. pour le yoghourt de 150 ml et 1,60 fr. pour 250 ml de la version liquide, pratiquement le double du prix d’un article comparable.
Même phénomène à la Migros: depuis deux mois, on peut y acheter un yoghourt à l’aloe vera pour 90ct. (30ct. de plus que pour un yoghourt traditionnel). Une différence de prix que la porte-parole Monika Weibel explique par «un produit de base plus cher et une campagne promotionnelle coûteuse». Autrement dit: les clients paient la publicité. Une conclusion que Monika Weibel nuance: «Le calcul des coûts de production ne nous regarde pas, c’est l’affaire de nos fournisseurs.»
Pour les distributeurs, le succès des articles à base d’aloe vera est dû aux prétendues vertus de la plante. «Ces produits sont totalement dans la ligne actuelle, axée sur la santé et le bien-être, assure Jörg Birnstiel. Les consommateurs ont le
sentiment de manger sain, même si aucune de nos publicités ne fait allusion à la santé.»
Emmi est moins regardant et utilise volontiers cet argument, comme on peut le lire sur le site internet de la société: «L’aloe vera renforce non seulement l’appareil
digestif, il revitalise aussi l’ensemble de l’organisme», est-il écrit sur la page consacrée à l’aloe vera, tout en rappelant que ces vertus sont connues «depuis plus de 3500 ans» et que c’est en Afrique que poussent «plusieurs variantes de l’aloe vera, utilisées pour guérir les blessés».
Toutefois, la société reconnaît qu’il règne une certaine incertitude: «Nous avons chargé une université de réaliser une étude permettant d’examiner dans quelle mesure l’aloe vera possède des effets thérapeutiques», précise Ingrid Schmid, porte-parole d’Emmi.
Pas un médicament
Officiellement en tout cas, les produits à l’aloe vera ne sont que des compléments alimentaires. L’Office fédéral de la santé publique n’autorise pas d’autres termes, car les effets médicaux de cette plante n’ont pas été scientifiquement prouvés.
S’il existe de nombreuses études sur le sujet, elles sont insuffisantes, selon le professeur Edzard Ernst, spécialiste en médecine complémentaire à l’Université d’Exeter (GB). Il a épluché toutes les recherches importantes traitant des effets de l’aloe vera sur la santé. Avec un résultat sans appel: «Hormis son effet purgatif, l’efficacité de cette plante n’est pas prouvée.»
En outre, la plupart des études ne satisfont pas aux standards actuels des tests cliniques, et les confrontations avec des placebos font défaut. Et même les résultats concernant l’effet soi-disant cicatrisant, prêté de longue date à la plante, sont contradictoires.
Mais pour Edzard Ernst, le plus incompréhensible reste le prix exorbitant des produits qui en contiennent. «Cette plante pousse comme de la mauvaise herbe et peut être cultivée à peu de frais», explique le spécialiste. Ce qui l’incite à conclure que «si l’aloe vera est aussi populaire, c’est uniquement parce qu’il est porté par une publicité agressive».
Bernhard Matuschak / jf