L’histoire de Natacha Droz ressemble à celle des dizaines d’autres lecteurs, généralement des petits indépendants, qui ont contacté Bon à Savoir. Mais la couturière neuchâteloise fait clairement partie de ceux qui ne s’en laissent pas conter et qui résistent jusqu’au bout. Jugez-en plutôt. A la réception d’un formulaire intitulé Ch-telefon.ch la priant de vérifier les données la concernant, la jeune femme croit avoir à faire à l’annuaire Swisscom Directories dans lequel elle est déjà inscrite. Elle signe le papier et le retourne dans l’enveloppe jointe.
C’est à la réception de la facture qu’elle comprend sa méprise: la note est de 860 fr. par an et la durée minimum du contrat de trois ans! Des indications qui figuraient bel et bien sur le formulaire, mais en caractères minuscules en bas de page. Elle tente de s’expliquer auprès de la société responsable, B&P Dienstleistungen, mais en vain. Se sentant victime d’escroquerie, elle fait opposition au commandement de payer de la société de recouvrement mandatée par B&P Dienstleistungen. Et elle dépose une plainte pénale à Neuchâtel. Là non plus, elle n’est pas entendue. Le Ministère public classe sa plainte (sans frais), estimant que les conditions du contrat sont accessibles aux clients et que la société n’a pas caché son identité.
Contrats nuls
S’il n’y a pas de délit pénal, cela ne signifie toutefois pas que les méthodes de B&P Dienstleistungen sont légales. Plusieurs avocats consultés, de même que le service juridique de Bon à Savoir (voir en page 21), conseillent aux clients piégés d’invoquer la nullité du contrat, sur la base du Code des obligations (CO). Ainsi, pour Me Christian Schmid, mandaté par les Pages jaunes pour attaquer B&P Dienstleistungen en justice (lire l’encadré), les clients lésés sont victimes d’une erreur essentielle, voire d’une tromperie (art. 23, 24 et 28 CO). En effet, les éléments principaux du contrat (prix, durée) sont inscrits en très petits caractères, le formulaire lui-même laissant par ailleurs penser qu’il s’agit de Directories ou des Pages jaunes.
Pour ces motifs, B&P Dienstleistungen a d’ailleurs perdu en procédure de poursuites devant un tribunal lucernois, après qu’un client a fait opposition à un commandement de payer.
Contactée par Bon à Savoir, la société rétorque qu’elle n’entend pas modifier ses formulaires, estimant qu’ils communiquent toutes les conditions du contrat et ne peuvent pas être confondus avec ceux d’une autre société.
Action coûteuse
Au vu de tous ces éléments, Natacha Droz a pris sa décision: elle ne payera pas! Même si le commandement de payer à son encontre reste inscrit à l’Office des poursuites. Elle renonce cependant à faire valoir la nullité de son contrat par une action en justice, pour des raisons pratiques. Il s’agit en effet d’une action civile, qui, contrairement à la plainte pénale, peut coûter très cher: jusqu’à plusieurs milliers de francs en frais de justice et d’avocat.
Suzanne Pasquier
Les Pages jaunes se défendent
La société LTV pages jaunes (éditant l’annuaire du même nom) a décidé de se défendre contre les méthodes de B&P Dienstleistungen. Elle a mandaté un avocat, Me Christian Schmid, pour ouvrir une action sur la base de la Loi sur la concurrence déloyale (LCD). «Nous cherchons à faire interdire l’usage du nom Ch-telefon.ch, qui donne l’impression qu’il s’agit d’un annuaire officiel suisse gratuit, explique l’avocat. De plus, nous exigeons des formulaires plus clairs, avec mention du prix et de la durée bien visibles.»
Et que font les autorités? Le Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO) n’est compétent pour intervenir en cas de concurrence déloyale que si la victime se trouve à l’étranger. Un projet de révision de la LCD prévoit d’étendre les compétences du SECO pour les cas se produisant en Suisse. Espérons qu’il obtiendra l’aval des Chambres fédérales... En attendant, le SECO fait de la prévention en éditant une brochure intitulée «Attention à l’arnaque à l’annuaire», qui ne cite pas nommément de sociétés (à télécharger sur le site www.seco.admin.ch).
Quant à la police, elle adresse parfois des mises en garde. A l’image de la police judiciaire jurassienne, qui a envoyé un communiqué de presse à différents journaux concernant Ch-telefon.ch, intitulé «escroqueries publicitaires»...