C’est l’histoire d’un prince qui habite un chapeau où flottent des crapauds bleu-blanc-rouges et qui souffre de mots de tête. Sa fiancée trouve sa façon de parler tellement bizarre qu’elle le renvoie à l’école. La belle lisse poire – comprenez: la belle histoire... – du prince de Motordu (référence: voir encadré) fait la part belle aux mots tronqués, aux syllabes qui glissent et se déforment à l’envi. Si elle fait rire les enfants, elle les interpelle aussi sur l’importance de bien parler, «qui reste une acquisition élémentaire pour fonctionner avec autrui».
Eh oui: un enfant qui parle mal risque de se renfermer, de bloquer tout processus de communication. Car s’il peine à s’exprimer ou reste incompréhensible dans ses formulations, son entourage se décourage, n’attend plus la fin de ses phrases ou renonce à chercher à le comprendre. Et l’intéressé peut, à terme, ne plus rien avoir à dire, puisqu’il n’arrive pas à le dire... Or le langage s’apprend, qu’il s’agisse de connaître les mots et/ou de bien en prononcer les sons, et/ou des les arranger en une syntaxe qui rende le discours intelligible. L’enfant passe par cet apprentissage-là, qui participe au processus de socialisation, «car le langage est bien un passeport social», souligne le pédopsychiatre Christophe Grandjean.
C’est d’ailleurs avec des personnes extérieures à la famille, et notamment avec leurs pairs, que les gosses perçoivent toute l’importance de bien parler. «Touche pas cette pomme, c’est la mienne», lancé avec le ton qui convient, permet d’éviter en récréation le passage aux coups. «Le langage est un vecteur des émotions: quand on peut dire sa tristesse ou sa joie, on n’a pas besoin de passer par la colère», explique à ce propos une logopédiste.
A quel âge s’inquiéter?
Les troubles du langage peuvent intervenir tôt. Un bébé qui répète des sons et qui, soudain, s’arrête dans ce processus de lallation devrait de toutes façons susciter l’inquiétude des parents. Et si cela devait durer, mieux vaut prendre l’avis du pédiatre. Le gros de la demande auprès des logopédistes concerne toutefois une population entre 4 et 7 ans, une tranche d’âge qui correspond au début de la scolarité, lorsqu’une tierce personne peut mettre le doigt sur une dysfonction.
Jusqu’à 4 ans, en fait, pas de panique: le langage intéresse parfois moins les enfants que l’activité motrice et se développe plus lentement chez certains d’entre eux. Entre 3 et 5 ans, une phase de bégaiement normal existe même chez certains, qui ne trouvent pas assez de mots pour s’exprimer, ou qui n’ont pas assez de motricité langagière: cela dure environ six mois mais s’en va ensuite spontanément.
Cela dit, ce sont les mots déformés, ou l’impossibilité de faire des phrases qui sont les deux principaux troubles que combattent les logopédistes. L’enfant parvient à dire «cou» et «teau», mais pas «couteau». Des jeux sont alors improvisés avec le mot qui pose problème.
N’oublions pas cependant que le trouble du langage est parfois la pointe de l’iceberg: il peut révéler d’autres troubles, du ressort de l’ORL ou du psychiatre d’enfants. Des examens médicaux complémentaires sont d’ailleurs quasi systématiques avant qu’un(e) logopédiste entame une prise en charge.
Arielle Zendaz
BON À LIRE
Au royaume du prince de Motordu
Les éditions Gallimard-Jeunesse viennent de rééditer toute une série de Motordu. La belle lisse poire du prince de Motordu est la plus connue et la seule d’ailleurs que l’on trouve en très grand format (42x35 cm, au prix de 43 fr.).
Vingt autres titres existent en poche (18x11 cm, entre 8 et 10 fr. l’exemplaire). Les cancres se plongeront avec plaisir dans Le livre de nattes (comprenez: de maths!). Ceux qui soupirent après leurs vacances passées iront avec Motordu sur la Botte d’Azur...
Dans chaque ouvrage, le lecteur doit réfléchir avant de remettre les
syllabes en place. Mais
pas de lézard: l’enfant rigole toujours au fil des pages, ne serait-ce que parce que, même si les textes sont truffés de fautes langagières, le dessin reste fidèle au verbe.
Ainsi découvre-t-on, par exemple, à la table du prince du boulet rôti, de la purée de petit bois, des pattes fraîches à volonté, des Suisses de grenouilles, des braises du jardin... L’auteur, Pef, s’en est donné à cœur joie. Si on peut lui reprocher d’avoir peut-être par trop exploité le filon, son héros est comme les autres: il connaît toutes sortes d’aventures... mais qui sont, dans son cas, liées à son «mal parler».
«Les problèmes de langage que connaissent les enfants sont rarement ceux de Motordu, mais l’ouvrage est un excellent prétexte pour en parler», estime le pédopsychiatre Christophe Grandjean. Afin de ne pas banaliser, ni dramatiser la question.