Comment expliquer les différences de prix considérables entre des médicaments vendus en France ou en Suisse? «Par le prix que nous-mêmes les payons», répond Christian Cordt-Möller, pharmacien au Grand-Saconnex. Il met ainsi d’emblée les choses au point, car ce ne sont pas les officines qui se graissent largement les pognes au passage. La preuve: certains médicaments leur sont vendus deux fois plus chers qu’à leurs collègues français (cf. tableau ci-dessous)!
Comme partout en Europe, le marché des médicaments suisses est étatisé. Leur prix est donc discuté entre les autorités sanitaires et les fabricants. Ensuite les produits remboursés par les caisses maladie sont inscrits dans la liste des spécialités, soumise à la surveillance des prix de l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS). Qui ne dispose toutefois que d’une marge de négociation étroite: l’industrie pharmaceutique étant un des principaux axes de l’économie suisse, il convient de veiller à ne pas tuer la poule aux œufs d’or...
Et même si l’OFAS était prêt à le faire, en aurait-il les moyens? Chaque mois, par exemple, l’institut de statistiques IHA publie un panel qui donne le prix des ventes des médicaments de tous les grossistes. Or, ce panel étant une banque de données privées, l’OFAS n’y aurait accès qu’en payant des sommes considérables. Ce qui fait dire à Christian Cordt-Möller que, dans ce domaine, «les autorités sont comparables à un gendarme qui règle la circulation avec une cagoule sur la tête».
L’OFAS satisfait
De son côté, Reinhard Kempf, chef du ressort des médicaments à l’OFAS, n’y voit pas un problème et se satisfait des critères de surveillance adoptés par son office, soit:
• la comparaison des prix avec d’autres médicaments de la liste des spécialités faisant partie du même groupe thérapeutique;
• la comparaison avec les prix pratiqués sur les marchés allemand, danois, hollandais et anglais.
Subsidiairement, l’OFAS s’intéresse aux prix pratiqués en France, en Italie et en Autriche et peut, à tout moment, renégocier un prix. Mais le fait-elle? Vu notre tableau ci-contre, on peut en douter.
Le rôle du marketing
Autre piste pour expliquer ces surcoûts: du moment qu’un médicament est accepté par Swissmedic (office de contrôle officiel), c’est au fabricant de décider s’il veut l’inscrire dans la liste des spécialités remboursées par l’assurance de base. En tel cas, il n’aura plus le droit d’en faire la promotion, sauf auprès des professionnels de la santé (médecins, hôpitaux, etc.). Une publicité qui vaut quand même son prix.
Marcel Mesnil, secrétaire général de la Société suisse des pharmaciens, estime également que les frais de marketing sont plus élevés en Suisse qu’en France, le marché nécessitant, par exemple, des emballages en trois langues. Mais il relève aussi que les contrôles de qualité sont très poussés, plus que partout ailleurs.
Le prix de la recherche
Les fabricants, quant à eux, insistent sur les différences des systèmes politique et sanitaire entre la France et la Suisse. Franz Schneller, directeur de la maison Lundbeck: «En France, l’industrie pharmaceutique n’est plus le fleuron de l’économie qu’elle a été. La marge dévolue à la recherche et au développement a été rognée par une politique des prix défavorable au secteur. Et nous constatons une évolution identique en Allemagne.»
Les patients suisses subventionnent-ils donc le développement des médicaments vendus meil-leur marché ailleurs? Selon Stefan Wild, porte-parole de la maison Merck Sharp Dohme-Chibret (MSD), la question est presque rendue obsolète par l’introduction du flat pricing (même prix quel que soit le dosage du médicament). Cela va influencer les prix vers le bas et ne pénalisera plus les patients nécessitant une thérapie lourde. Il oublie pourtant de préciser que cette pratique permet aussi d’élever le prix des emballages à faible dosage (voir BàS 10/02)...
Statu quo
Bref, beaucoup de pistes, mais
peu d’explications franchement convaincantes et surtout rien qui ne laisse présager un retournement de situation. Les Genevois continueront à soupirer devant le prix des médicaments vendus en France voisine...
Anne Salem-Marin