Kevin (*), 11 ans, est convoqué par un juge, qui veut l’entendre dans le cadre de la procédure de divorce de ses parents. Il n’est pas rassuré et s’imagine des personnages patibulaires dans une grande salle d’audience, comme il en a vu à la TV. Mais sur place, il est heureux de constater que le juge, sans robe noire, a l’air sympa dans son petit bureau. Il lui offre un jus, avant de l’informer qu’il peut refuser de parler.
Kevin hésite, mais finit par répondre aux questions: oui, il se plaît bien avec sa mère; bien sûr, il est heureux de passer un week-end sur deux avec son père... Cette entrevue ne changera de toute façon rien au sort de l’enfant: les parents sont d’accord sur les droits de garde et de visite.
Le nouveau droit, en vigueur depuis un an, consacre la participation de l’enfant à la procédure de divorce, sous forme d’une audition par le juge. Les rapports des assistants sociaux et des psychologues, qui interviennent de toute manière dans les affaires difficiles, ne suffisent donc plus. Mais l’audition peut être supprimée en raison de l’âge de l’enfant ou «d’autres motifs importants», dit le Code civil. Une disposition ouvrant la porte à une application très diverse du droit d’être entendu!
D’un juge à l’autre
D’un canton à l’autre, d’un district à l’autre, l’âge auquel on convoque l’enfant peut changer du tout au tout.
A Sion, le Tribunal convoque les gosses dès 6 ans. «A cet âge, les entendre ne pose guère de problème, observe le juge Yves Tabin. C’est vers 12 ans qu’ils sont mal à l’aise, car ils se rendent compte de la gravité de la situation.»
A Fribourg Hubert Bugnon, président du Tribunal, écrit aux plus de 12 ans pour les informer de leurs droits. «Les plus jeunes ne sont pas en âge de comprendre et risquent d’être inutilement troublés. Parmi ceux qui reçoivent ma missive, certains me répondent par un mail ou un petit mot. Ils sont peu nombreux à se déplacer.»
Autre pratique encore à Lausanne, où le Tribunal confie souvent l’audition à des juges laïcs habitués à côtoyer des enfants, par exemple des enseignants. Les gosses sont convoqués dès 11 ans. « Nous ne faisons en général que confirmer la décision des parents sur la garde de l’enfant», note une juge.
Nos interlocuteurs doutent de l’utilité du nouveau droit d’être entendu. M. Bugnon résume l’opinion générale: «Si les parents sont d’accord et que c’est pour mettre du baume sur le cœur du môme, ce n’est pas au juge de jouer au thérapeute. Et s’il y a désaccord entre les parents, l’intervention d’un spécialiste est de toute façon nécessaire.»
Dramatisation
Geneviève Zirilli, avocate spécialisée dans les questions familiales, trouve l’audition des enfants non seulement inutile, mais source de problèmes: «Le droit international consacre le droit d’être entendu pour les enfants, mais le Code civil suisse en a fait une obligation. Ce n’est tout de même pas la même chose! L’audition systématique alourdit et dramatise la procédure de divorce. »
Juges peu formés
Et la formation des juges? Elle est des plus aléatoires. Cela va de plusieurs heures de cours avec un pédopsychiatre, à une seule conférence donnée par un spécialiste. Mais en se réunissant entre eux, les juges semblent avoir acquis certains principes: laisser à l’enfant la possibilité de se taire, éviter les questions favorisant le conflit de loyauté telles que «veux-tu vivre avec papa ou maman?».
L’importance du cadre est aussi reconnue – une petite pièce accueillante – de même que la confidentialité: les propos de l’enfant ne seront pas rapportés aux parents ou aux avocats.
Suzanne Pasquier
(*) Prénom d’emprunt.
bilan satisfaisant
Un droit à la parole
L’Association suisse pour la protection de l’enfant (ASPE)* tire un bilan plutôt positif de la première année sous l’empire du nouveau droit: «L’enfant est enfin accepté comme partie au conflit, se félicite Franz Ziegler, secrétaire de l’association. Il est important qu’un enfant du divorce soit entendu par un juge, même si celui-ci manque encore d’expérience». Un interrogatoire maladroit ne risque-t-il pas de causer des dégâts? «Les psychologues et les assistants sociaux aussi peuvent commettre des erreurs. Et ils représentent un intermédiaire de trop entre l’enfant et la justice».
Franz Ziegler s’insurge pourtant contre la diversité des pratiques: «Les patrons de la justice des divers cantons devraient fixer un âge minimal pour l’audition».
*ASPE Brunnmattstrasse 38, case postale 344, 3000 Berne 14. (031 382 02 33.