Les caisses de pension font leurs prévisions en se fondant sur des tables de longévité, tout comme les politiciens qui tricotent (ou détricotent) les lois réglant la prévoyance professionnelle. Pour calculer le montant des rentes qu’elles peuvent accorder aux futurs retraités, elles décortiquent donc les statistiques qui rendent compte de l’espérance de vie, dont on sait qu’elle est en constante augmentation depuis la fin de la Seconde guerre mondiale.
Quoique... Un rapide coup d’œil sur les derniers chiffres de l’Office fédéral de la statistique (OFS)* montre un sérieux coup de frein. Alors que l’espérance de vie d’une femme de 65 ans augmentait encore de 1,1 an entre 2001 et 2010, elle n’a plus bougé depuis. Et, chez l’homme, elle n’a progressé que de 0,2 an, ces cinq dernières années, contre 1,7 an entre 2001 et 2010. Elle est donc, aujourd’hui, de 22,2 ans pour les femmes et de 19,2 ans pour les hommes (voir point du tableau ci-contre).
Intégrer le futur
Mais ce qui est vrai aujourd’hui ne le sera pas nécessairement demain. Personne, en effet, n’aurait imaginé qu’un enfant né peu après la guerre de 39-45 survive, en moyenne, au-delà de 80 ans. C’est que la qualité de vie, l’environnement social et les progrès de la médecine sont passés par là. Chaque génération a donc des chances de survie variables dont il faut tenir compte sous forme de prévisions. Pour ce faire, on se réfère à un important volume de données historiques. Or, une récente étude*, menée conjointement par Credit Suisse et la société de réassurance Aon Hewit, conclut que les critères retenus par les institutions de prévoyance «ont tendance à surestimer la longévité en Suisse».
Manquent les cols bleus
D’abord, les caisses de pension, tout comme les autorités qui gèrent nos retraites, se fondent sur une table de base (elle ne tient pas compte des évolutions futures). Appelée «LPP 2015», elle réplique les données de 15 grandes institutions représentant 1,4 million d’assurés actifs. Ce chiffre est certes important, mais il existe 1800 caisses en Suisse et plus de 4,1 millions d’assurés... Parmi les grands oubliés: les métiers de la construction et les autres branches professionnelles avec de petits salaires, dont on sait que l’espérance de vie est également réduite. On part donc, d’entrée de jeu, sur des bases plutôt hautes.
Ensuite, la table générationnelle – qui ajoute les compensations pour tenir compte de l’évolution du taux de mortalité – est fondée sur le modèle de Menthonnex. Toutes projections faites, elle estime, aujourd’hui, l’espérance de vie d’une femme de 65 ans à 24,4 ans et celle d’un homme à 22,3 ans (1). C’est 2,2 ans, respectivement 3,1 ans de plus qu’aujourd’hui, ce qui représente des centaines de millions de francs en plus versés sous forme de rentes. Et, par conséquent, justifie la baisse du taux de conversion, voire même de repousser l’âge de la retraite à 67 ans.
L’effet de cohorte
Le problème, c’est que, en appliquant une autre méthode à la même table de base, les experts de Credit Suisse et d’Aon Hewit arrivent à des résultats bien moins alarmants. Ils estiment que le système CMI, développé par l’Institut et Faculté des actuaires du Royaume-Uni, est plus précis. Il tient compte, en effet, de ce que les démographes appellent «l’effet de cohorte», soit l’effet des différentes modifications retenues sur chaque génération précise (une par an). Et, comme les résultats sont revus à la baisse (2), ils en déduisent que les projections suisses actuelles sont surévaluées. Dommage que personne ne l’ait relevé lors du récent débat sur «Prévoyance 2020»...
* Lire le bonus web: L'espérance de vie en chiffres
Christian Chevrolet / Thomas Lattmann