La question posée était: «Souffrez-vous ou avez-vous souffert de douleurs dorsales?» Pierre1 se souvenait vaguement avoir eu mal au dos après un déménagement, quelques années auparavant. Il avait même consulté un médecin, qui lui avait prescrit des médicaments et des séances de physiothérapie. Honnêtement, il l’indique au conseiller en assurance (qui est en réalité un courtier). Celui-ci coche pourtant la case «non» au motif que «ce n’est même pas la peine d’en parler, toute la population suisse a un jour ou l’autre mal au dos».
Plusieurs années après, Pierre est atteint d’une sclérose en plaques, avec incapacité probablement définitive de travail. Il compte alors sur la rente d’invalidité (en l’occurrence 3000 fr. par mois jusqu’en 2015) garantie par cette police. L’assurance demande de nombreux renseignements médicaux, rappelant à Pierre le libellé «libération du secret médical»2 qu’il avait signé du fait qu’il figurait sur la proposition d’assurance. Et c’est à ce moment que ressort la «fameuse» consultation pour le dos. L’assurance invoque immédiatement la «réticence» et déclare annuler purement et simplement toute la police, avec effet rétroactif, tout en gardant les primes payées!
Sans limite dans le temps
Juridiquement, l’assureur a les meilleures armes. La loi (actuelle) sur le contrat d’assurance l’autorise en effet à se prévaloir d’une réponse inexacte de l’assuré:
• sans limite de temps (peu importe par exemple que la sclérose survienne dix ans après la conclusion de la police);
• même si la réponse inexacte porte sur une affection sans rapport avec le sinistre actuel!
Bien sûr, cette loi fait une exception à cette dure sanction lorsque «l’assureur a provoqué la réticence» (art. 8 ch. 2 LCA). Mais comment prouver, dix ans plus tard, que cette réponse inexacte était bien due à la faute du courtier? Certes, on voit bien que celui-ci avait lui-même rempli les réponses. Mais cette procédure est couramment admise. Et la signature de l’assuré au bas du questionnaire est jugée suffisante.
Le système actuel de la réticence est scandaleux. Il l’est d’autant plus qu’il s’applique aussi bien en assurance maladie sociale (LAMal, sauf pour l’assurance de base, où l’état de santé lors de l’admission ne joue pas de rôle) qu’en assurance privée (il y a de plus en plus de contrats LCA, même faits par des caisses maladie). Les assureurs eux-mêmes sont d’ailleurs conscients que ce système, datant de 1908, n’est plus admissible. Ils ne rejettent donc pas d’emblée le projet de révision de la LCA, qui apporte quelques (légères) améliorations à ce sujet. C’est ainsi que sera introduit le principe de la «spécialité de la réticence»: l’assureur ne pourra plus refuser ses prestations à cause de réponses inexactes portant sur d’autres affections.
Jugement favorable
En attendant, les juges «jonglent» un peu avec les textes, en cherchant tout de même à corriger les plus grandes injustices. Ils ont par exemple jugé, dans un cas proche de celui de Pierre, que «l’assurée qui ne signale pas, lors de son admission à l’assurance maladie, qu’elle a subi huit ans auparavant des douleurs dorsales ayant donné lieu à des radiographies et à douze séances de physiothérapie, dans la mesure où ces douleurs ont été suivies d’une longue période de répit, sans interruption de travail, hormis une nouvelle manifestation de banales douleurs lombaires quelques années plus tard» ne commet pas une réticence. ASSUAS-VD
Philippe Nordmann
1Prénom fictif
2Ce sujet sera traité dans notre prochaine édition de mars
3Tribunal fédéral des assurances, 4.2.1997, SJ 1998, p. 431.
conseils
Avant de signer
• Prenez le temps de réfléchir à chacune des questions: cette réflexion permet souvent de retrouver le souvenir de certaines affections.
• Ne courez pas le risque de cacher quelque chose: vous pourriez le regretter en cas de sinistre et finalement avoir payé des primes pour rien. Ne croyez jamais le courtier qui vous suggère de passer telle ou telle affection sous silence.
• Si vous avez un doute, mentionnez-le. Par exemple: «Avez-vous souffert de troubles dorsaux par le passé?» Réponse possible: «non, pas à mon souvenir» ou «non, sauf erreur». Ce sera alors à l’assureur de «creuser» la question s’il l’estime utile.
• Il faut enfin savoir que la clause générale de libération du secret médical figurant juste au-dessus de votre signature n’est pas valable juridiquement et ne vous lie pas.
Adresse
association suisse des assurés
Rue du Simplon 15
1006 LAUSANNE
Tél./Fax (021) 653 35 94
Permanence:
mercredi de 18 h à 20 h
Pour prendre rendez-vous
par tél.: lundi de 8 h à 11 h.
Précisions parues dans Bà S 03/99
L’Office fédéral des assurances sociales tient à souligner que le problème de la réticence ne se pose pas en assurance maladie de base (LAMal), puisqu’il n’y a désormais – c’est même l’un des grands progrès de la LAMal par rapport à l’ancienne loi – ni réserve ni déclaration de santé à remplir. Les problèmes de déclarations de santé ne peuvent se poser que pour les assurances complémentaires (prestations médicales plus larges, indemnités journalières, etc.).