Peu après avoir connu son mari, Jacqueline Brosi, 30 ans, a commencé à prendre la pilule. Bien que très amoureuse, elle a alors ressenti un effet secondaire indésirable: son envie de faire l’amour s’est atténuée. «Soudain, se souvient-elle, je n’avais plus goût à prendre l’initiative.»
Ce récit n’étonne nullement Cristina Kohli du Centre de santé pour femmes, à Berne: «Il arrive fréquemment que des femmes sous pilule se plaignent d’une diminution de leur libido.» Et cela à tout âge, même à l’adolescence. Le gynécologue Daniel Brügger sait par expérience qu’«environ 10% des femmes prenant la pilule depuis au moins cinq ans se plaignent d’une perte de désir. Mais elles n’osent pas forcément toutes en parler».
Les informations disponibles sur ce sujet sont souvent diffuses. Pas étonnant, lorsqu’on sait que la littérature médicale a jusqu’ici totalement négligé ce thème délicat. Ainsi, dans le manuel d’endocrinologie gynécologique, servant de référence aux gynécologues et également utilisé dans les cours universitaires, on peut lire au chapitre contraception orale que les troubles de la libido sont insuffisamment définis et décrits dans la littérature.
Manque de recherches mmédicales
De même, «Medline», banque de données recensant prés de huit millions de recherches médicales, n’a enregistré que six études sous les mots-clés «libido» et «contraception orale» durant ces quinze dernières années. Deux d’entre elles émanent du Pr. Johannes Bitzer, de la Clinique universitaire de gynécologie de Bâle. «Le dosage de la pilule, ainsi que le métabolisme de la femme jouent le rôle principal dans les troubles de la libido dus
à la pilule», estime Johannes Bitzer. «Les récepteurs d’hormones sont différents chez chaque femme, si bien que chacune réagit différemment.»
Ambivalences
Selon le manuel d’endocrinologie (science des hormones), ce sont surtout les progestatifs contenus dans la pilule qui induisent la perte d’appétit sexuel. Ces hormones gênent le développement des muqueuses de la matrice et les fonctions ovariennes. Parfois à tel point, que le vagin s’assèche et que le désir diminue.
Si une femme se plaint d’une perte de libido, le manuel conseille de prendre une pilule contenant davantage d’œstrogènes ou un autre progestatif. Cependant, changer de pilule n’est pas forcément la bonne solution, car elles contiennent toutes un progestatif! «En principe, note le Professeur Bitzer, chaque pilule peut entraîner une perte de désir sexuel…»
Cristina Kohli ne veut pas rendre responsable la seule progestérone. A son avis, des facteurs psychologiques jouent également un rôle. Parmi eux, la Dresse Anne de Kervasdoué cite dans Questions de femmes (*) «une ambivalence vis-à-vis de la pilule»: la femme, faite pour enfanter, culpabilise inconsciemment et inhibe ainsi sa sexualité. Parfois aussi, il s’agit d’«un désir inconscient de grossesse». Pour d’autres femmes l’acte sexuel perd son attrait quand il n’est plus lié à un risque. D’autres fois encore, la prise de la pilule, permettant des rapports sexuels fréquents, peut révéler un conflit de couple, masqué jusque-là par la crainte-prétexte d’une grossesse.
Sexualité et fertilité n dissociées
Le Dr Daniel Brügger pense aussi que «la pilule perturbe le processus de maturation psychosexuelle de la femme». Lors d’un cycle normal, certaines femmes vivent de fortes variations psychologiques et sexuelles. Pendant l’ovulation, elles se sentent bien et ressentent très profondément leur sexualité. Ce sentiment diminue vers la fin du cycle, avant la menstruation: elles sont alors nombreuses à être lasses et moins actives sexuellement.
Le cycle de la femme prenant la pilule est régulé. De sorte qu’elle vit moins intensément ces hauts et ces bas: «La pilule a dissocié la sexualité de la fertilité, rappelle le Pr. Bitzer. Les femmes sont plus disponibles sexuellement, mais cela ne correspond pas à leur cycle naturel.»
«C’est comme si on mettait les sensations sous cloche», ajoute le Dr Brügger. Jacqueline Brosi confirme: «Je ne me sentais plus comme une femme, mais plutôt comme quelqu’un d’asexué. Depuis que j’ai arrêté de prendre la pilule, j’ai retrouvé toutes mes sensations et mes envies.»
(*) Ed. Odile Jacob, 1996