La réforme fiscale lancée par Kaspar Villiger vise deux objectifs: améliorer la situation des familles et imposer équitablement couples mariés et concubins. Pour cela, Berne est prête à accepter une baisse de ses revenus fiscaux évaluée à 1,3 milliard de francs par an.
Le modèle de réforme que le Parlement aura probablement à discuter s’appelle le splitting partiel (lire encadré). Malheureusement, il est loin d’atteindre les objectifs visés:
• Les époux riches recevront le plus gros cadeau fiscal (voir tableau ci-contre). Exemple: avec un revenu annuel de 300 000 fr., un couple marié avec deux enfants devrait payer 6528 fr. d’impôts en moins qu’actuellement. Le même cou-ple, avec un revenu moindre, de 160 000 fr., économiserait 2682 fr. seulement. Mais avec 90 000 fr. de revenu, il n’y gagnerait plus que quelque 612 fr.!
• Pour les familles monoparentales avec deux enfants, le bilan est encore plus maigre: avec un revenu de 90 000 fr., l’économie est de 497 fr. par an et pour 50 000 fr., de tout juste 110 fr.
• Les concubins, toujours avec deux enfants, ne bénéficieraient pas non plus du nouveau système d’imposition. D’autant que, au lieu d’aplanir les actuelles différences de traitement, la réforme projetée ne ferait que transférer l’avantage fiscal des concubins aux parents mariés.
Désapprobation
La Commission fédérale de coordination des questions familiales rejette donc ce modèle de réforme fiscale. Car elle ne favorise pas les couples avec enfants de manière indépendante de leur état civil.
Même désapprobation du côté des syndicats et du Parti socialiste. Comme le confirme la conseillère nationale saint-galloise Hildegard Fässler (PS), les familles avec un revenu jusqu’à 90 000 fr. sont trop prétéritées. Elle déplore d’autre part que les couples dont un seul partenaire travaille soient avantagés par rapport à ceux où les deux ont une activité salariée: «C’est un pas en arrière dans la politique d’égalité, puisque la Confédération réduit ainsi l’attrait du monde du travail pour une femme mariée.»
Reproches réfutés
Des reproches que le département de Villiger réfute, arguant du fait qu’il ne faut pas seulement se baser sur des montants en francs, mais aussi sur les changements en pourcentages. Ainsi la réduction fiscale pour un couple marié avec deux enfants et un revenu brut de 60 000 fr. serait de 100%, et de seulement 30% pour un revenu de 300 000 fr.
Reste que pour les personnes imposables, ce qui importe, c’est l’argent qu’ils pourraient économiser grâce à la réforme fiscale. Et là, le splitting partiel n’avantage que les couples mariés avec un bon revenu.
Allocation familiale
Il en irait tout autrement
si la Confédération optait pour le modèle de l’imposition individuelle, avec une allocation familiale mensuelle élevée (lire encadré). Dès lors, couples mariés et concubins seraient traités de manière identique par le fisc. Et les familles aux bas revenus profiteraient davantage de la réforme que les plus aisées. Exemple: une famille monoparentale avec 2 enfants et un revenu annuel de 90 000 fr. économiserait 3129 fr., mais 4126 fr. avec un revenu de 50 000 fr. Soit 4016 fr. de plus qu’avec le splitting partiel (voir tableau).
A noter que même le département de Villiger qualifie le modèle d’imposition individuelle de «modèle intéressant qui mérite un examen approfondi». Toutefois, il ne serait pas possible d’en estimer toutes les retombées financières sur la base des seules études actuelles.
Du côté des socialistes, on est cependant persuadé que cela ne coûterait pas davantage que le splitting partiel. L’allocation pourrait être introduite sans frais supplémentaires: en supprimant parallèlement les déductions fiscales des familles pour les impôts fédéraux et cantonaux, et en utilisant les actuelles allocations cantonales de montants inégaux pour la nouvelle allocation fédérale.
Autres mesures
En plus de cette allocation pour enfants, les socialistes et le PDC ont demandé d’autres mesures pour les familles à bas et moyens revenus. Dont l’introduction de prestations complémentaires pour des parents à revenu faible, et l’abolition des primes de l’assurance maladie pour les enfants et les jeunes en formation. Au moment de mettre notre journal sous presse, le Conseil fédéral n’avait pas encore adopté le projet définitif de réforme fiscale en faveur des familles. Mais il devrait le faire encore ce mois-ci.
Dernier mot au Parlement.
les deux modèles
Eliminer les inégalités
Splitting partiel — Aujourd’hui, le fisc avantage les concubins lorsque les deux partenaires travaillent. Les époux doivent en effet déclarer leur revenu total au lieu de deux revenus individuels et atteignent donc un palier supérieur. Une charge supplémentaire qui n’est pas contrebalancée par le taux plus avantageux d’imposition fédérale des mariés. Berne veut régler ce problème par le splitting familial: les époux déclareraient toujours leur revenu total, mais seraient imposés au taux correspondant à la moitié de leur revenu imposable global (précisément, en divisant ce revenu par un facteur de 1,9).
Imposition individuelle — Ce modèle, préféré par le Parti socialiste (PS) prévoit une imposition indépendante de l’état civil de toutes les personnes imposables sur la base de leur revenu individuel. Les socialistes veulent soutenir la famille non pas par des déductions fiscales, mais par une allocation pour enfants unifiée (au niveau fédéral) de 500 fr./ mois pour le premier enfant et de 250 fr./mois pour les suivants.