Les vignerons ne se gênent généralement pas de dire clairement ce qu’ils pensent. Mais le manifeste paru dans la dernière édition de la revue spécialisée Vinum (*) est inhabituel: huit vignerons ont en effet renoncé à l’appellation d’origine contrôlée (AOC) à laquelle ils avaient droit, préférant élever des vins du pays ...
Modestie toute helvétique? Du tout! «Un vin AOC dilué à quatorze tonnes de raisin par hectare et/ou mêlé à du vin étranger trompe le consommateur et ruine à terme la réputation de la viticulture suisse, affirment simplement les huit signataires. C’est pourquoi nous renonçons avec effet immédiat à cette appellation trompeuse et sans valeur et déclassons le millésime 1997 en vin de pays.»
En Suisse, l’AOC est une notion récente. Genève a été le premier à l’introduire en 1988. Les cantons romands (vins biennois inclus) et le Tessin ont suivi, les alémaniques s’y préparent. Tout ça en vue de l’ouverture sans condition aux vins étrangers dès 2001.
Seulement voilà, déplore Rolf Kriesi, éditeur de Vinum, une «solution qui vise à doter presque toute la production nationale du label AOC n’apporte pas vraiment grand-chose sur le plan de
la qualité». Et de rappeler qu’en France, seuls 40% des vins peuvent prétendre à un tel honneur. En Italie, cela ne concerne même que 13,5% de la production nationale!
Voilà qui met nos huit vignerons hors d’eux: «Parce les vins rouges suisses issus de vignes en surproduction manquent souvent de structure, de couleur et d’alcool, la loi fédérale autorise à ajouter 10% de vins de coupage étrangers bon marché pour colorer et ‹donner du volume› à la plupart des AOC cantonales!» expliquent-ils courroucés.
Et de comparer à nouveau avec nos voisins de l’Union européenne, où l’AOC n’est accordée qu’aux vins issus d’un rendement entre 6 et 10 tonnes par hectare. Même le vin de table (deuxième catégorie, comme chez nous) ne doit pas dépasser 11 tonnes par hectare. Or, le vin suisse de premier choix (AOC) permet de produire jusqu’à 14 tonnes de raisins blancs et 12 tonnes de raisins rouges! Sans parler, dans ce dernier cas, des 10% de droit de coupage avec du vin rouge étranger.
Du coup, huit vignerons pourtant unanimement reconnus, préfèrent jouer la carte du pauvre. Et se disent prêts à persévérer tant que le droit de coupage ne sera pas aboli et les rendements strictement limités à 10 tonnes par hectare. Face au défi de 2001, ils estiment que l’AOC est à ce prix minimal.
Christian Chevrolet
(*)Vinum (3/98) ( 01/268 52 40
Garanties de provenance
Le coupage est interdit partout sauf en Suisse
Suisse:
La loi autorise que l’on coupe les vins de la catégorie1 (AOC) avec des produits de même couleur jusqu’à concurrence de 10%. La quasi-totalité de la production peut donc prétendre à une telle dénomination.
France:
Le coupage avec des produits étrangers est interdit pour tous les vins répondant à l’appellation d’origine contrôlée. 40% des bouteilles françaises seulement affichent donc le label AOC.
Italie:
En Italie, l’AOC correspond à la Denominazione di Origine Controllata (DOC), attribuée à 13,5% des bouteilles seulement. Les vins haut de gamme se dotent encore d’un DOCG (pour Garantita).
Espagne:
La crème des vins est reconnue comme telle par le label D.O. (Denominacion de Origen). Le haut de gamme peut prétendre au D.O.Ca (pour Calificada). Le coupage avec des produits étrangers est
interdit.
Allemagne:
Pas d’AOC en Allemagne, mais seulement des vins de qualité. Les normes européennes sont en vigueur, donc pas de coupage non plus. Situation identique en Autriche, où 30% des vins sont garantis de qualité.