Presque tous les magasins proposent un grand choix d’épices et leur utilisation est aujourd’hui devenue aussi répandue que banale. Mais il n’en a pas toujours été ainsi... Prenez l’exemple du poivre. Il fut un temps où il était si rare et si précieux qu’il servait de monnaie d’échange ou de cadeau. Il était même à l’origine d’une expression qui en disait long sur la valeur qu’on lui accordait: «C’est cher comme poivre». Première épice connue en Europe, venue d’Inde, elle a longtemps recueilli les faveurs des tables royales. On en faisait même un usage immodéré, histoire d’étaler sa fortune. Les bourgeois en faisaient autant, comme pour compenser leur absence de noblesse par des plats relevés.
L’histoire des épices est en fait étroitement liée aux grands explorateurs des siècles passés. C’est grâce à Sinbâd le Marin, Alexandre, Marco Polo que le poivre, la muscade ou le clou de girofle sont venus parfumer les tables européennes. Assez vite aussi, l’Europe découvre les vertus médicinales des épices, qui vont entrer dans la composition de nombreux remèdes et baumes.
Ce succès phénoménal entraîne des bagarres homériques entre Hollandais, Espagnols, Portugais et Italiens. Tous se sont farouchement battus pour obtenir et conserver le monopole des épices. Comme aux Moluques: les Portugais débarquent sur cette véritable île aux trésors en 1511, où ils découvrent le muscadier à l’état sauvage, mais les Hollandais la leur arracheront, puis la rendront, avant de se battre pendant plus de 50 ans pour la récupérer!
Concurrence du café
Il faudra cependant attendre la découverte de la route des Indes pour que les épices se démocratisent. Manque de chance, l’Europe vient alors de s’enticher de nouvelles découvertes: le café, le thé, le chocolat. Les épices, considérées comme des excitants jusque-là, sont largement supplantées et leur usage devient beaucoup plus modéré. Certains grands cuisiniers renoncent même à les utiliser tandis que d’autres, plus nuancés, soulignent qu’elles ne doivent jamais dominer et que pour réussir un plat, il s’agit de trouver l’harmonie des formes, des couleurs et des saveurs. Les grandes toques d’aujourd’hui s’en tiennent toujours à ce précieux conseil.
La notoriété des épices fléchit alors sérieusement, au point que leur histoire aurait pu s’arrêter là. En France, il faudra attendre la seconde moitié du XXe siècle pour qu’elles retrouvent les faveurs des... riches. Fauchon vient de s’ouvrir pour rapidement devenir le temple de l’épicerie fine. Il a d’ailleurs encore pignon sur rue aujourd’hui. Les autres attendront la naissance des grands magasins pour renouer avec le poivre et la muscade.
Industrie alimentaire
Aujourd’hui, c’est l’industrie alimentaire qui est la plus grosse consommatrice d’épices. Produits charcutiers, plats cuisinés ou surgelés: tous contiennent des épices. En plus, l’offre s’est considérablement élargie. On peut, en deux coups de cuillère à pot, être transporté en Thaïlande ou au Mexique par la seule magie des épices.
Chez le géant américain McCormick, ce sont d’ailleurs les variétés exotiques qui marchent le mieux: «Les deux développements les plus forts sont à l’opposé l’un de l’autre, explique leur porte-parole M. Gaisser. Ce sont d’une part des choses très spéciales et typiques, comme la citronnelle, le chili ou les épices thaïes et d’autre part les mélanges d’épices tout prêts pour les grillades
par exemple. Les gens ne prennent plus le temps de faire les mélanges eux-mêmes.»
Dommage. Râper ou moudre des épices au moment de s’en servir procure un plaisir olfactif et assure un goût unique aux mets. Encore faut-il qu’elles aient été conservées dans des bocaux hermétiquement fermés et qu’elles n’aient pas plus que deux ans: au-delà, elles perdent leur arôme.
Marie Amstel
DESCRIPTIF
Des vertus médicales peu connues
• Le poivre: longtemps considéré comme le roi des épices, il est l’auxiliaire indispensable de la cuisine. Cueilli avant maturité (il est alors noir), son goût est plus fort que le blanc (baies mûries), plus fin et plus aromatiques. Stimulant l’appétit, il facilite aussi la digestion.
• La cannelle: l’épice la plus célèbre et la plus ancienne de l’histoire de la gourmandise entrait dans la composition de tous les mets jusqu’à la découverte du poivre. Apéritive, digestive, elle serait aussi efficace comme bactéricide et anti-diarrhéique (une cuillère à café dans une tasse de thé).
• La cardamome: mal connue, cette délicate épice originaire d’Indonésie appartient à la même famille que le gingembre. On la dit stimulante, antiseptique, carminative. Elle est aussi efficace en dentifrice ou en pastille contre la mauvaise haleine, la toux et les vers.
• Le clou de girofle: très populaire chez nous, le bouton floral du giroflier atténue notablement les douleurs dentaires. Il est aussi apéritif, digestif, antiseptique. Il combat la douleur et la fièvre. Enfin, au Moyen Age, les oranges cloutées étaient supposées protéger contre la peste.
• La noix de muscade:
la graine du fruit du muscadier a elle aussi des propriétés digestives et stimulantes. Elle a été très utilisée en médecine, mais de manière modérée: absorbée en grande quantité, elle peut provoquer une sorte d’ivresse et de délire. Elle entre d’ailleurs dans la composition de l’ecstasy.
• Le safran: c’est non seulement l’épice, mais peut-être aussi la denrée la plus chère au monde. Il faut une tonne de crocus pour recueillir un kilo de safran. On ne s’étonnera donc pas qu’il ait été l’objet de tant de falsifications, comme le curcuma. Stimulant, il préserve de l’indigestion et de l’ivresse.
• Le paprika: utilisé comme épice ou comme légume, il revêt plusieurs formes, de la taille naine (le piment oiseau) au gros poivron. C’est ce dernier qui est utilisé pour le paprika: doux si l’on n’utilise que la pulpe, plus corsé si l’on y ajoute les graines, il fait le bonheur des ragoûts, des farces et des soupes.