Ne serait-ce qu’à cause de mes oreilles qui sifflent et bourdonnent jour et nuit, je puis dire
que ma vie est un calvaire. L’homme qui parlait ainsi souffrait d’acouphènes. Il s’appelait Beethoven.
Comme le célèbre compositeur, 10% de la population, dont une majorité de personnes de plus de 60 ans, entend sans cesse des bruits parasites. Pour la plupart, il s’agit d’un problème qu’on ne peut pas guérir (lire encadré), seulement soulager. Notamment en faisant «oublier» l’acouphène grâce à un autre bruit ou de la musique.
Parmi les moyens proposés à cet effet, l’«oreiller musical» est apparu en Suisse en octobre dernier. De forme anatomique, avec haut-parleurs intégrés, il a été conçu par la maison Elsa et l’entreprise allemande Ampliton, spécialiste des problèmes d’acouphènes.
La publicité d’Ampliton est aussi parue dans Bon à Savoir. Intriguée, la rédaction l’a fait essayer par une jeune femme de 32 ans, Valérie Scherler. Elle souffre d’acouphènes de l’oreille gauche depuis l’âge de 7 ans. «Parfois, c’est juste comme un léger bruit d’eau. D’autres fois, c’est un sifflement désagréable, comme après un concert joué trop fort». La nuit surtout, lorsque les bruits extérieurs s’atténuent, Valérie a l’impression que son acouphène augmente en intensité. «Je suis alors très angoissée, car je crains que cela n’empire ou que d’autres bruits viennent s’y ajouter.»
Test pas concluant
Pour elle, le test de l’oreiller n’était pas concluant: inconfortable, trop haut. «7 à 8% des personnes qui l’essaient ne supportent en effet pas ce coussin», commente Georges Zosso, représentant romand d’Ampliton. Avant de l’acquérir, il faut donc le tester pendant une semaine au moins». Dommage que la réclame ne le précise pas. «C’est une lacune», admet le représentant.
«Je n’ai pas non plus supporté d’entendre un bruit supplémentaire, même en réglant le volume au minimum, ajoute Valérie Scherler. Mais ce coussin pourrait certainement convenir à d’autres personnes pour les distraire de leur acouphène.»
Ce que confirme Raphaël Maire, médecin associé au service d’ ORL au CHUV à Lausanne: «Ce coussin représente un moyen parmi d’autres pour diminuer les acouphènes avant de s’endormir. En général, entendre un autre bruit ou de la musique permet au cerveau de se focaliser sur un autre bruit.»
Reste qu’au lieu de dépenser près de 500 fr. (298 fr. l’oreiller, 139 fr. le lecteur CD et 39 fr. les CD de musique et sons spéciaux vendus par Ampliton), une simple chaîne hi-fi suffit. Ce que reconnaît Georges Zosso: «A part son grand confort, le seul avantage de l’oreiller, c’est que le conjoint qui ne souffre pas d’acouphènes n’entend presque pas la musique.»
Autre argument de vente: l’oreiller serait conçu de manière à ce que l’ensemble des ondes soit intercepté. «En effet, les haut-parleurs ne contiennent pas d’aimant», explique Georges Zosso. Mais, comme l’écrit Daniela Thöny, membre de la direction d’Elsa à Emmen (LU), la protection à 100% n’existe pas. Une fois encore, il est regrettable que la publicité affirme si nettement le contraire... Sans oublier que, même si l’oreiller ne dégage absolument aucune onde,
le lecteur CD auquel il est relié en émet forcément, bien qu’elles soient minimes.
Ellen Weigand
Traitements et dispositifs pour s'y habituer
Pour l'heure, il n'existe pas de moyen de guérir les acouphènes. Au CHUV à Lausanne, une équipe de médecins ORL et de psychiatres déterminent le profil socio-psychologique du patient pour comprendre pourquoi il n'arrive pas à atténuer spontanément son acouphène. Le traitement proposé ensuite est une thérapie d'habituation.
L'habituation est un phénomène courant par lequel notre système nerveux réussit à ne pas être envahi par la foule d'informations qui lui provient en permanence: un stimulus continu ou répété sans signification particulière, tel le bruit d'une horloge ou d'un ordinateur par exemple, est progressivement filtré par le système nerveux puis n'arrive rapidement plus la conscience.
Il en va de même pour l'acouphène. En l'absence de traitement médicamenteux efficace, il constitue l'objectif à atteindre. Comme l'explique le Dr Raphaël Maire du CHUV: «Pour le faire comprendre aux patients, j'emploie souvent cette analogie: lorsque vous mettez vos chaussures, vous les sentez d'abord tout autour de votre pied. Mais rapidement vous oubliez que vous les portez.»
La majorité des personnes souffrant d'acouphènes arriveront au même résultat avec une thérapie d'habituation. Elles entendront l'acouphène lorsqu'elles essaient de l'entendre, mais l'oublieront le reste du temps.
Thérapies et dispositifs
La Tinnitus Retraining Therapy (TRT): c'est une méthode particulière d'habituation, notamment connue en Grande-Bretagegne, en Europe du nord et aux Etats Unis. Elle associe le port d'un appareil émettant des sons «blancs» (style chuintements) à une thérapie psychologique et des exercices de relaxation.
Les générateurs de bruit blanc: ils introduisent un bruit de fond de faible intensité, (au seuil de l'audition de ce son dans une pièce calme), visent à induire l'habituation simultanée au bruit du générateur et au(x) son(s) de l'acouphène. Ils sont prescrits en l'absence de perte auditive ou dans les cas où la perte est très faible.
Les prothèses auditives: elles permettent une bonne reconnaissance de la parole. Elles augmentent la capacité à communiquer et diminuent l'effort nécessaire à bien entendre. Ils décroissent ainsi le stress associé à l'acouphène et donc l'activation du système végétatif. De plus, les sons amplifiés par la prothèse diminuent la détection de l'acouphène par effet de masquage.
Les masqueurs d'acouphène: en diffusant un son, ils visent à masquer les fréquences de l'acouphène de manière sélective. Mais ils sont peu appréciés des patients qui ne perçoivent pas l'intérêt de remplacer un bruit gênant par un autre bruit, et leur prescription est maintenant le plus souvent abandonnée.
Pour en savoir plus
http://www.ecoute.ch
http://www.audition-infos.org
http://www.orl-conseils.com/otologie/acouphene/sommaire_acouphene.htm
http://www.tinnitus-pjj.com
http://www.ecoute.ch/acouph-2.htm
pas de traitement MIRACLE
Un symptôme qui peut devenir invalidant
L’acouphène est un symptôme, pas une maladie, ni une hallucination. Si l’on ne connaît pas encore tout le fonctionnement de ce bruit d’origine interne, on sait qu’il résulte de la production d’un signal nerveux anormal à un quelconque niveau des voies auditives. Lequel signal est interprété comme un son lorsqu’il atteint le cerveau auditif.
Pour bien des gens, l’acouphène n’est pas dérangeant, car dépourvu de message. Pour d’autres, il peut devenir très handicapant en raison d’une signification émotionelle négative, entraînée notamment par le stress, la fatigue, l’anxiété ou la dépression.
Dès lors, divers troubles peuvent apparaître, dont des difficultés de concentration et d’endormissement et une baisse notable de la qualité de vie. Au CHUV (Lausanne), on propose aux personnes gênées par leur bruit intérieur une thérapie d’habituation. Objectif: tenter d’apprivoiser l’acouphène en augmentant le seuil de tolérance de sorte à pouvoir vivre avec. Cela après un examen médical approfondi pour écarter toute cause organique. «Ensuite, on discute avec le patient pour connaître toute sa personnalité, son environnement social, culturel, et pour détecter une éventuelle anxiété ou dépression», explique le Dr Raphaël Maire.
Et le spécialiste de mettre en garde: «Il est illusoire
de chercher le traitement miracle. Mais certains exploitent le désarroi de gens qui ne supportent plus leurs acouphènes, par exemple
en proposant des traitements inutiles et parfois coûteux. Si, pendant un certain temps, la personne euphorisée se sent effectivement soulagée, elle retournera malheureusement sou-
vent à son état habituel peu après.»
Bon à lire
Comment expliquer les acouphènes? Quels examens effectuer? Les réponses à ces questions et bien d’autres encore se trouvent dans un tout récent ouvrage, qui propose également un programme pour gérer le stress et retrouver le calme intérieur: «Bourdonnements et sifflements d’oreille», Dr Martine Ohresser, éd. Odile Jacob, février 2002, 176 pp., 38,40 fr.