Les fruits et les légumes ne sont pas toujours aussi frais que les étals des supermarchés le laissent croire. Preuve en est avec les pommes et les carottes. Les Suisses en consomment en moyenne respectivement 15 kg et 8,5 kg par année, principalement au cours de la période s’étalant de janvier à mai. Pourtant, ces deux produits sont récoltés bien avant – en automne – et sont alors stockés dans d’immenses entrepôts avant d’être mis en vente.
L’année dernière, 185 507 tonnes de fruits et de légumes suisses ont ainsi été entreposées dans des chambres froides, selon les chiffres de Fruit-Union Suisse, Légumes suisses et l’Office fédéral de l’agriculture.
Pommes traitées conservées 13 mois
Prenons le cas des pommes: 57 782 tonnes d’entres elles ont été stockées en 2013. Par le passé, elles auraient commencé à se rider après trois mois. Mais il est possible, désormais, de les conserver bien plus longtemps sans que cela se voie. Elles sont en effet désinfectées avec la substance chimique 1-méthilcyclopropène (lire encadré). Cet inhibiteur permet, par exemple, d’entreposer pendant 13 mois la pomme Golden, comme le confirme la Obsthalle à Sursee de l’entreprise Fenaco.
Toutefois, dans les magasins, les légumes et les fruits récoltés plusieurs mois auparavant ne sont pas vendus comme tels. Les détaillants notent seulement la date à laquelle les produits ont été emballés et non celle de la récolte. Ainsi, Migros vend ses pommes et ses carottes en tant que produits frais. Et les pommes de terre biologiques de Coop sont flanquées d’une pancarte où l’on peut lire: «Pour du bio frais de la région.» Les détaillants affirment que le terme «frais» se réfère à la qualité et au goût et non au moment de la récolte.
Le fait que les grands distributeurs fassent de la publicité pour des légumes de garde «frais» n’est pas une surprise. Les réserves sont en effet énormes. L’automne dernier, ce ne sont pas moins de 68 000 tonnes de pommes de terre, 57782 de pommes, 41383 de carottes, 9807 de choux, 7467 de céleris et 6151 de poires qui ont été récoltées. Seulement la moitié environ a été vendue. A la mi-mars, 85 000 tonnes de fruits et de légumes attendaient encore des clients.
Stockages à froid énergivores
Et le nombre de producteurs qui possèdent des chambres froides ne cesse d’augmenter, comme le révèle une étude de Fruit-Union Suisse. Mais le refroidissement et le stockage utilisent énormément d’énergie. Entre les mois de décembre et de mars, 8 millions de kilowattheures (kWh) ont été consommés pour les pommes uniquement, selon les chiffres d’une étude de l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich (ETH). De quoi ternir l’écobilan des produits*.
En se basant sur la publication mensuelle des stocks des producteurs de fruits et de légumes, l’ETH a également pu déduire une consommation totale de 32 millions de kWh entre novembre et mars. Cela correspond à la consommation annuelle d’une ville de 7100 ménages.
Business florissant
Les chambres froides semblent être un business porteur, tant elles sont constamment agrandies et modernisées. L’an dernier, le groupe Fenaco a ouvert une nouvelle unité pour un coût de 54 millions. Rathgeb qui fournit des légumes bio pour Coop a, pour sa part, agrandi son centre à Unterstammheim (ZH). Et le fournisseur de Migros, Minog, construit un nouveau bâtiment de stockage de pommes de terre à Rebstein, comme l’a révélé Schweizer Bauer.
Yves Demuth / ld
Bonus web:un stockage qui plombe l'écobilan
Éclairage
Vieillissement au détriment des arômes
Les pommes peuvent être encore croquantes même après plusieurs mois de stockage. La température dans les chambres froides est proche du point de congélation, avec un taux d’humidité de 92%. La teneur en oxygène est, pour sa part artificiellement, abaissée entre 1 et 2%.
Pour les pommes mises sur le marché après février, les producteurs utilisent souvent un gaz nommé Smart Fresh. La composition chimique de cet inhibiteur de maturation comprend notamment du 1-méthylcyclopropène qui se dépose sur les pores de la peau. Les pommes fumigées restent, selon l’Agroscope, bien croquantes et juteuses. Cependant, elles sont moins aromatiques, affirme le chercheur Franz Gasser. Ainsi, pour être aussi goûteux que des non traités, les fruits devraient rester plus longtemps sur l’arbre.
Si toutes les pommes vendues après la mi-février étaient gazées avec ce produit, cela coûterait environ 1,6 mio annuellement aux consommateurs, d’après des données de Fruit-Union Suisse. A noter que la fumigation est interdite pour les produits biologiques.