La mauvaise surprise se trouvait dans la boîte aux lettres: constatant qu’une facture d’une soixantaine de francs était restée impayée, un laboratoire médical genevois a mandaté une société de recouvrement, spécialisée dans l’encaissement des débiteurs supposés récalcitrants. Surcoût de l’opération: une facture d’une centaine de francs, payable à dix jours. Le débiteur doit-il vraiment payer de tels frais supplémentaires?
La loi sur la poursuite pour dettes et faillite (art. 27, al. 3), l’interdit. Selon cet article, «les frais de représentation (du créancier dans la poursuite) ne peuvent être mis à la charge du débiteur». Dès lors, certains juges alémaniques ont estimé que ces frais ne pouvaient être mis à la charge de celui qui paie en retard. En d’autres termes: c’est au créancier qui a mandaté la société de recouvrement de la payer.
Les spécialistes de l’encaissement persistent toutefois à les ajouter sur le bulletin vert. «Il existe en effet d’autres décisions judiciaires qui vont en sens contraire, explique Jacqueline Hunziker-Kung, présidente de l’Association suisse des sociétés fiduciaires et bureaux de recouvrement. Et comme le Tribunal fédéral ne s’est pas encore prononcé sur cette question, nous vivons avec ce conflit.»
Vue générale
Inquiète de cette évolution, l’association a demandé à ses membres (une cinquantaine en Suisse) de lui adresser ces jugements, «afin d’avoir une vue générale de la situation».
Si la loi sur la poursuite estime que ce n’est pas au débiteur de payer ces frais, c’est que, le plus souvent, l’assistance d’un représentant professionnel n’est pas nécessaire. Dans l’affaire de la facture du laboratoire médical, un simple problème de changement d’adresse du débiteur, qui n’avait pas été averti de cette dette, expliquait le retard de paiement: pas de quoi justifier la mise en œuvre de moyens aussi coûteux!
Mais «il existe aussi des débiteurs qui font tout pour ne pas payer, ce qui nécessite du courrier, des coups de téléphone, des frais de bureau, tout un travail administratif, plaide le porte-parole d’Intrum Justitia, une des importantes sociétés de recouvrement de Suisse. Or, selon l’article 106 du code des obligations, ces débiteurs doivent payer le dommage supplémentaire résultant du retard. Evidemment, pour de petites factures, cela provoque rapidement une importante hausse des coûts».
Ces frais sont facturés de manière à peu près identique d’un spécialiste de l’encaissement à l’autre, sur la base de recommandations de leur association. Autant dire qu’ils n’ont pas force de loi et qu’avant de payer quoi que ce soit, on fera bien de se renseigner: les cantons peuvent en effet réglementer le tarif de tels services.
Sylvie Fischer
JURISPRUDENCES
Tout n’est pas permis
Pour vous forcer à payer, tous les moyens ne sont pas bons. Plusieurs spécialistes de l'encaissement se sont fait condamner par la justice pénale pour l'avoir oublié.
• Un directeur d'une société de
recouvrement de créances, qui menaçait systématiquement et sans raison sérieuse ses débiteurs de plainte pénale pour les forcer à payer, a ainsi été jugé coupable de tentative de contrainte (ATF 120 17).
• Menacer le débiteur de procéder à des visites à son lieu de travail et de prendre contact avec ses amis et connaissances, afin de le mettre sous pression et de le forcer à payer, a été jugé tout aussi inadmissible (RSJ 78 N31 p.166). Un tel comportement constitue également une tentative de contrainte. De telles pratiques jouent grossièrement les usages en affaires, même si celui qui doit de l'argent renâcle à payer.
• L'avocat qui menace son client de dissuader tout autre défenseur de prendre en charge ses intérêts, tant que lui-même n'a pas été payé, n'est par contre pas coupable de contrainte, a jugé récemment le tribunal de district de Zurich. Une directive de l'association suisse des avocats n'autorise en effet un changement de mandat que lorsque les honoraires du premier défenseur sont payés. Il était certes irrégulier de mettre en relation obligation de payer et menace de lock-out, retient le jugement, mais le client s'est laissé trop facilement impressionner.
S Fr