Le litre d’essence coûte 20 ct. de trop parce que les banques et les fonds d’investissement spéculent massivement sur le pétrole brut depuis janvier 2009! Cette conclusion provient d’une étude que l’expert hambourgeois Steffen Bukold a menée pour le compte des Verts allemands.
Pour mémoire, le prix de l’or noir a plus que doublé entre janvier 2009 et avril 2010, passant de 40 à 85 dollars le baril. Or, selon Bukold, une part considérable de cette augmentation est due à la spéculation boursière. Car, durant cette période, le prix du pétrole aurait en fait dû stagner ou même baisser. L’offre était, en effet, surabondante en 2009 tandis que la demande a chuté en raison de la crise économique. Et, malgré cela, les prix ont augmenté parce que les investisseurs, comme les banques et les hedge funds, ont acheté des contrats de livraison de pétrole en grandes quantités sur les marchés boursiers. Ces documents permettent aux acheteurs de s’assurer une quantité déterminée de pétrole, qui doit toutefois encore être extrait. Dans la pratique, ce type de contrat est fréquemment utilisé pour miser sur la hausse des prix. Le signataire achète, sur le papier, du pétrole bon marché, puis il revend le contrat lorsque le prix du brut monte.
D’après l’enquête allemande, le commerce de ce genre de contrats est en plein boom. Quelque 1,1 milliard de barils de pétrole (valant 93 milliards de dollars) sont achetés et vendus en moyenne chaque jour aux Bourses des matières premières de New York et de Londres. Or, les volumes des contrats seraient treize fois plus importants que la quantité de pétrole réellement extraite. Steffen Bukold estime que la spéculation à court terme a renchéri le prix du baril de 8 à 12 dollars depuis janvier 2009. Celle à long terme l’influencerait de 17 à 23 dollars supplémentaires. Si l’on prend la valeur du baril en avril 2010, qui avait atteint 85 dollars, cela représente une «prime de spéculation» d’une trentaine de dollars, soit d’environ 35%.
Un milliard pour les spéculateurs
Cela n’est évidemment pas sans influence sur le prix à la pompe pour les automobilistes suisses. Selon les chiffres de l’Office fédéral de la statistique (OFS), un litre de sans plomb coûtait en moyenne 1.66 fr. à la colonne au mois de mars, soit 32 ct. de plus qu’en janvier 2009. Une partie de cette différence est due à l’augmentation de certaines charges liées au transport, au raffinage ainsi qu’à la fluctuation des cours de change. Une vingtaine de centimes seraient en revanche directement liée à la spéculation. D’ailleurs, au début d’avril 2010, le litre de brut se négociait environ 60 ct. auprès des grossistes européens. Or, en vertu de la demande des consommateurs et de l’offre, il aurait dû stagner au niveau du début de 2009, soit à environ 40 ct.!
Dès lors, en sachant que nous avons consommé l’an passé 4, 7 milliards de litres d’essence et 240 millions de litres de diesel, on peut affirmer que les automobilistes suisses ont payé 1 milliard de trop. Une somme colossale qui finit pour l’essentiel dans la poche des spéculateurs.
Phénomène récent
Les experts suisses estiment que les résultats de l’étude sont plausibles. Pour Rolf Biland, spécialiste des Bourses chez VZ VermögensZentrum, il est clair que «la spéculation influence constamment les prix des matières premières». D’après les observateurs, les investisseurs financiers ont commencé à tirer les prix du pétrole vers le haut par leurs actions spéculatives depuis 2008, alors que ce phénomène était quasiment inexistant dans les années 1990.
Rolf Hartl, directeur de l’Union pétrolière suisse, convient lui aussi que les investisseurs financiers influencent fortement le prit du brut par le levier des contrats d’achat. Il estime cependant difficile de chiffrer le phénomène avec précision.
Eric Breitinger/seb