Faut-il s’en inquiéter? Des analyses menées en avril de cette année par le Laboratoire cantonal de Genève montrent que sur douze échantillons de thon contrôlés, frais ou en boîte, quatre affichent une valeur supérieure à la valeur-limite de 1 mg/kg, fixée par la loi pour la teneur en mercure. Une enquête précédente du même laboratoire avait trouvé un taux de contamination identique (33%) sur 84 échantillons de poissons de mer divers – thon, marlin, veau de mer, etc.
Dans le canton de Vaud, les contrôles effectués l’an dernier ont démasqué quatre échantillons de thon en conserve non conformes. Du côté de la Confédération, l’Office vétérinaire de fron-
tière déclarait en 1999 une proportion de 31,6% de produits importés à base de poisson contenant une quantité excessive de mercure, sur cent échantillons contrôlés. A croire qu’un poisson de mer sur trois est chargé au mercure...
Thons refoulés
Mal défini, probablement minime, le risque d’intoxication par l’ingestion chronique de poisson contenant des taux comparables à ceux relevés en Suisse n’en est pas moins pris au sérieux par les scientifiques et les agences de sécurité alimentaire. Au Canada, on déconseille ainsi aux femmes enceintes et aux enfants (deux groupes particulièrement sensibles) de consommer du thon en boîte plus de deux fois par semaine!
Le problème, c’est que le mercure rejeté dans la mer se concentre dans le plancton, plat principal des petits poissons, qui font eux-mêmes le régal des plus gros. Or, le mercure a la particularité d’être bio-amplifié: un organisme en stocke plus qu’il n’en excrète. Au bout de la chaîne alimentaire – gros poissons prédateurs, puis humains – les concentrations de mercure sont donc considérables. Ce qui explique que les taux les plus élevés affectent toujours des espèces comme le thon, l’espadon ou le requin.
En Suisse, l’Office vétérinaire de frontière procède à des contrôles poussés sur les poissons gras, refuse les lots contrôlés «positifs» et impose à certains importateurs de produire un certificat de conformité. «Le but est d’obtenir une baisse globale du taux de mercure, et non de mettre en place un filtre absolu, ce qui est impossible, précise le Dr Jakob Schluep, chef de l’OVF. Le contrôle par sondage comporte toujours le risque qu’un échantillon négatif provienne d’un lot par ailleurs positif... ou l’inverse.» En clair, il est impossible de savoir si la darne de thon qu’on a dans l’assiette contient ou non une quantité de mercure dépassant la valeur-limite d’1 mg/kg!
Risque relatif
Mais pas de panique: le Centre suisse d’information toxicologique ne recense aucun cas d’intoxication au mercure par ingestion de poisson en Suisse. Le Dr Schluep relativise le risque encouru: «Contrairement à la présence de contaminants bactériens comme les salmonelles, qui font naître un risque concret pour la santé des consommateurs, nous sommes ici en présence d’un risque chimique relatif. Manger de temps en temps un poisson à la teneur en mercure semblable aux teneurs les plus élevées constatées par analyse, soit environ 3 mg/
kg, n’est pas dangereux pour le consommateur.»
En cas de doute, reste une option: choisir des poissons indigènes, quasi propres à 100% depuis les efforts environnementaux entrepris dans les années 70, sans compter que la truite du lac n’est guère sujette à la surpêche.
Blaise Guignard
la dose et le poison
Une relation mal définie
Gros problème environnemental, la pollution industrielle au mercure touche de nombreuses régions du globe. Les populations dont le régime alimentaire est basé sur des espèces de poisson «à risque» sont particulièrement exposées: en Amazonie, sur la côte thyrrénienne, à Madère, en Finlande... Problème: lorsqu’il s’agit de consommation répétée de toxiques à doses très modestes, il est très difficile de définir le seuil de dangerosité. Et les études qui vont dans ce sens se basent sur des intoxications dues à une consommation limitée dans le temps, mais de doses autrement plus importantes.
Une étude américaine récente a toutefois porté sur une île des Seychelles dont les habitants consomment depuis plusieurs générations des poissons à teneur excessive en méthyl-mercure. Les résultats de l’étude sont essentiellement négatifs: aucun effet significatif n’a été observé sur les sujets de l’étude. En revanche, en Finlande, une étude de l’Université de Kuopio tend à associer à la consommation de poisson «au mercure» une augmentation de 32% du risque d’athérosclérose, et un risque accru (+70%) de développer une maladie coronarienne.