La valeur locative n’est pas une particularité suisse, mais presque. Seules, en effet, la Belgique et l’Espagne estiment également que le loyer qu’un propriétaire paierait s’il louait sa maison plutôt que de l’habiter doit être considéré comme un revenu à part entière, donc imposé.
La source de cette taxation se trouve dans l’article 8 de la Constitution fédérale, qui postule l’égalité de tous les citoyens suisses devant la loi. Or, comme un locataire n’a pas le droit de déduire le loyer de son revenu, le contribuable propriétaire de son logement se voit compter une valeur locative à titre de revenu, en compensation du fait qu’il peut, lui, déduire les frais (intérêts hypothécaires, entretien, etc.) inhérents à son bien immobilier.
Mais, en pratique, cette valeur est inférieure aux prix du marché, car, à côté du principe de l’égalité de traitement, l’encouragement à l’accès à la propriété (fixé, lui, à l’article 108 de la Constitution) doit aussi être pris en compte. La valeur locative représente donc, grosso modo, 70% de la valeur réelle.
Régulièrement remise en cause, cette procédure n’en reste pas moins incontournable et le sera encore au moins pour les trois ou quatre ans à venir (lire l’encadré).
De grandes disparités
Comme expliqué dans notre récent article Loyer virtuel, impôt réel (5/2010, page 22), chaque canton choisit la façon dont il évalue la valeur locative. Certains sont extrêmement généreux, d’autres nettement moins. Notre comparatif romand (résultats autour des photos) le prouve, même si ces chiffres, transmis à notre demande par les différents fiscs cantonaux, doivent être considérés comme des estimations, puisque nous avons retenu un seul exemple théorique, soit une villa et un appartement types.
Ainsi, aux extrêmes, la valeur locative de la villa type d’Orsières (VS) est de 9720 fr. (810 fr./mois), contre 28 519 fr. (2376 fr./mois) pour celle d’Onex (GE). Bien sûr, le prix d’acquisition est aussi fort différent: 409 000 fr. en 2003 à Orsières contre 888 000 fr., à la même époque, à Onex. Il n’en reste pas moins qu’il s’agit exactement du même bien immobilier! Et la différence s’accroît encore si l’on compare ce que la Confédération retient pour l’IFD: 9720 fr. toujours en Valais, mais 39 610 fr. à Onex, soit quatre fois plus!
Des différences qui diminuent dans les chefs-lieux. Certes, le «loyer fiscal» de notre appartement type n’est toujours que de 10 800 fr. à Sion, mais Genève ne double même pas la mise (16 956 fr.).
Avec les déductions
Toutefois, avant que le fisc ne taxe ce revenu, le contribuable va encore pouvoir déduire ses frais d’entretien, effectifs ou sous forme de forfait (voir chiffres noirs ci-dessus) ainsi que ses intérêts hypothécaires. Du coup, on estime, par exemple, que 42% des propriétaires bernois déclarent une valeur locative nette négative! Exemple: si le propriétaire de Bienne retient la déduction forfaitaire pour ses frais d’entretien, il lui reste un revenu de 10 197 fr. Admettons que son hypothèque représente encore 300 000 fr. avec un intérêt de 3,5%, la valeur locative sera donc de 10 197 – 10 500 = – 303 fr.
Christian Chevrolet
Et si on la supprimait?
Deux fois déjà, le peuple a refusé de modifier le principe de la valeur locative (en 1999 et 2004).
Une initiative populaire, déposée l’an dernier, demande la possibilité aux propriétaires retraités de renoncer à ce principe de façon irrévocable (sans possibilité alors de déduire les intérêts hypothécaires, mais pas les frais d’entretien qui pourraient l’être jusqu’à concurrence de 4000 fr.) ou de garder le statu quo.
Le Conseil fédéral s’y oppose et a proposé, en juin dernier, un contre-projet indirect, qui supprime la valeur locative et toute possibilité de déduction, sauf pour les nouveaux propriétaires ou si on loue son bien immobilier. Mais il risque de couler encore passablement d’eau dans la Sarine avant que le peuple ne puisse se prononcer, car, lors de la consultation, 17 cantons s’y sont opposés.