Fust, M-Electronics, Media Markt: ces trois enseignes ont toutes accepté de laisser un mineur acheter le jeu vidéo GTA 5, pourtant réservé aux plus de 18 ans par la classification PEGI (lire encadré) en raison de son contenu violent. Le plus jeune a réussi à se le procurer dans un magasin M-Electronics, alors qu’il n’a que de 14 ans (voir tableau)! Le caissier était pourtant bel et bien conscient qu’il n’avait pas l’âge requis. Ce qui ne l’a pas empêché de déclarer: «Je n’ai pas le droit normalement. Mais, allez vas-y, prends-le. Tu verras, il est cool.»
Dans cette même succursale, c’est grâce à la vigilance d’une collègue que le vendeur a refusé in extremis de le remettre à la plus jeune de nos recrues, qui vient à peine de fêter ses 10 ans. Fnac, Interdiscount et Manor ont en revanche fait preuve d’un comportement exemplaire en opposant un refus systématique à nos enquêteurs en herbe.
Pas de sanctions
Les magasins qui ont remis ce jeu à des mineurs ne risquent rien, sauf dans le canton de Vaud où la norme PEGI a force de loi depuis 2006. En cas de non-respect, le commerçant est passible d’une amende entre 500 fr. et 10 000 fr. Au niveau national, la loi actuelle ne prévoit aucune contrainte pour les jeux vidéo et électroniques, hormis une protection contre les représentations à caractère pornographique. Mais les choses pourraient bouger: deux motions visant à interdire les jeux électroniques violents – l’une complètement, l’autre aux enfants et aux adolescents seulement – ont été acceptées par le Conseil national et le Conseil des Etats respectivement en 2009 et en 2010. Le Conseil fédéral doit maintenant élaborer un projet de loi.
Code de conduite
La grande majorité des détaillants, les producteurs de jeux et les importateurs ont cependant signé un code de conduite édicté par la Swiss Interactive Entertainment Association (SIEA). Par ce biais, ils s’engagent notamment à respecter le système PEGI, mais aussi à contrôler l’âge des acheteurs de jeux destinés aux plus de 16 ans et 18 ans. Les récalcitrants sont passibles de sanctions pouvant aller du simple avertissement au refus de livraison de la marchandise dans le magasin.
Avec nos confrères de l’émission On en Parle (RTS-La Première) nous avons donc décidé de vérifier si ces enseignes tenaient bien leurs engagements. Pour ce faire, nous avons envoyés incognito nos quatre jeunes garçons âgés de 10 à 16 ans, acheter le jeu GTA 5 dans plusieurs succursales de la Fnac, de Fust, d’Interdiscount, de Manor, de M-Electronics et de Media Markt entre Lausanne et Genève. Nos «espions en herbe» étaient supervisés discrètement par l’un de nos enquêteurs adultes.
Sur un total de 24 tentatives, trois ont abouti, ce qui représente 12,5% des cas. Interpellée, la SIEA indique que le bilan de notre enquête est «représentatif des résultats obtenus lors de contrôles qu’elle a elle-même menés. S’il s’agit d’une erreur d’inadvertance de la part du vendeur, un simple rappel à l’ordre s’impose. En revanche, si le vendeur a remis délibérément le jeu, il s’agit d’une faute passible de sanction», précise le vice-président Nicolas Akladios.
Prise de conscience
Mandatée par la SIEA pour recueillir les plaintes, la Fédération romande des consommateurs (FRC) se dit globalement satisfaite par les résultats de notre enquête. Selon Valérie Muster, juriste, «elle montre qu’il y a eu une prise de conscience de la part des détaillants et, même si certains ne jouent pas toujours le jeu, le système fonctionne dans l’ensemble».
Du côté des enseignes épinglées, toutes reconnaissent leur erreur et la regrettent vivement. Migros précise qu’elle va prendre des mesures immédiates pour rappeler au personnel les restrictions d’âge PEGI et examiner encore la mise en œuvre d’un système de contrôle supplémentaire. Fust indique qu’il s’agit d’un cas isolé qui ne correspond ni à sa politique ni aux efforts qu’elle a entrepris pour protéger les mineurs lors de l’utilisation des jeux vidéo. Quant à Media Markt, le magasin ne s’explique tout simplement pas comment une telle erreur a pu se produire.
Les détaillants qui ont signé le code s’engagent aussi à afficher clairement qu’ils contrôlent l’âge des acheteurs. Là encore, le résultat n’est pas parfait: la communication est en effet partielle à la Fnac et chez Interdiscount et tout bonnement inexistante à Fust et M-Electronics.
Retour au magasin
Interdiscount, Manor, Fust et Media Markt nous ont enfin assurés avoir introduit un système supplémentaire avertissant directement les caissiers lorsque la vente d’un jeu est liée à un âge minimum. Visiblement, ce système n’est pas infaillible, vu les faux pas de Fust et de Media Markt! Selon la SIEA, l’erreur est d’autant plus grave dans ce cas.
Mais alors que faire si junior rentre à la maison avec un jeu inapproprié à sa classe d’âge? Dans un premier temps, il faut le rapporter au magasin et demander la reprise du jeu même s’il est ouvert. Si le vendeur refuse d’entrer en matière, on dénoncera alors le cas à la FRC. A ce jour toutefois, elle n’a reçu qu’une seule plainte. Il semble que les parents ne connaissent pas suffisamment les normes PEGI ou peut-être les ignorent-ils tout simplement. On ne peut donc que les encourager à se familiariser davantage avec ce système de classification et, surtout à s’y fier (lire encadré).
Chantal Guyon
EN DÉTAIL
Vous avez dit PEGI?
Nombre de parents se trouvent confrontés au regard implorant de leur rejeton tenant dans ses mains un jeu vidéo dont la couverture évoque une scène violente. Mais, est-il vraiment adapté à l’âge de junior? C’est là que le système PEGI vient à leur rescousse. PEGI, acronyme de Pan European Game Information, est un système de classification des jeux vidéo par catégories d’âge en fonction du contenu. Il permet ainsi aux parents de se décider en toute connaissance de cause (voir conseils aux parents ci-dessous). Mis en place en 2003, il est géré par l’institut néerlandais NICAM (Netherlands institute for the classification of audiovisual media), totalement indépendant de l’industrie du jeu. Aujourd’hui, il est appliqué dans trente pays dont la Suisse où il est soumis au contrôle de la Swiss Interactive Entertainment Association (SIEA). A la fin de 2012, le nombre de jeux évalués par PEGI se montait à plus de 20 000, dont 49% conviennent à tous les âges et 4% sont réservés aux plus de 18 ans. La classification PEGI est encore complétée par le système de certification des jeux vidéo en ligne, PEGI online.
Catégories d’âge
Le contenu est considéré comme adapté à tous les âges. Une certaine violence dans un contexte comique comme dans Tom et Jerry, par exemple, est acceptable. Le jeu ne comporte pas de sons ou d’images susceptibles d’effrayer de jeunes enfants. Il n’y a pas de langage grossier.
Le jeu contient certaines scènes ou des sons potentiellement effrayants convenant à cette classe d’âge.
Le jeu peut présenter de la violence sous une forme plus graphique par rapport à des caractères imaginaires et/ou une violence non graphique envers des personnages à figure humaine ou représentant des animaux identifiables ou des scènes de nudité d’une nature légèrement graphique. Toute grossièreté reste légère. Il n’y a pas d’insultes à caractère sexuel.
La représentation de la violence (ou d’un contact sexuel) correspond ce à qu’on retrouverait dans la réalité. Le langage peut être grossier. Les jeunes gens de cette classe d’âge doivent être en mesure de gérer le concept de l’utilisation de tabac et de drogues et la représentation d’activités criminelles.
Le degré de violence atteint un niveau où il rejoint une représentation de violence crue et/ou inclut des éléments de types spécifiques de
violence.
EN PRATIQUE
Conseils aux parents
Votre enfant adore les jeux vidéo, mais, vous, vous n’y comprenez rien. Voici donc quelques astuces pour l’aider à naviguer correctement dans cet univers.
> Respecter la classification PEGI figurant sur l’emballage d’un jeu (voir tableau des classifications).
> Essayer de trouver un résumé ou une critique du contenu du jeu ou, mieux encore, le tester soi-même en y jouant d’abord.
> Fixer des règles claires: définir par avance à quels jeux, quand et pendant combien de temps l’enfant peut jouer. Lui expliquer les raisons de cette décision et pourquoi certains jeux ne sont pas faits pour lui.
> Ne pas hésiter à jouer avec son enfant, échanger ses impressions avec lui, mais aussi le surveiller lorsqu’il joue. Pour ce faire, on placera la console de jeu ou l’ordinateur à la vue de tous, dans le salon par exemple. On pensera aussi à installer le système de contrôle parental s’il y en a un.
> Encourager son enfant à communiquer et à partager ses expériences de jeu.
> Les jeux en ligne se jouent généralement au sein d’une communauté virtuelle où l’enfant est en interaction avec des joueurs inconnus. Il faut donc lui recommander de ne pas communiquer ses coordonnées personnelles et de ne jamais rencontrer d’autres joueurs sans la présence d’un parent. Lui demander également de signaler tout comportement inapproprié.
Ne pas hésiter à faire appel à des professionnels si l’enfant montre des signes de dépression, tels que fatigue, perte d’intérêt, irritabilité, tristesse, isolement, désinvestissement scolaire, troubles du sommeil ou perte d’appétit.