Si l’époque où de vastes poêles à catelles chauffaient la maisonnée est révolue, celle des cheminées fermées et des poêles cheminées ne fait que commencer: dans les dix dernières années, le nombre des premières a presque triplé, alors que celui des seconds a plus que doublé, portant le nombre total d’installations de ce type en Suisse à quelque 273 000. La valorisation des énergies renouvelables n’est sans doute pas étrangère à cet engouement.
Comme leurs ancêtres, ces foyers modernes se nourrissent de bûches, qu’ils préfèrent de bois dur bien sec, scié à la bonne dimension de 33 cm. L’essence idéale: le hêtre, dont les forêts de plaine regorgent. Ne comptez pourtant pas vous rendre dans les sous-bois pour constituer votre bûcher: une saison de cheminée représente entre 2 à 5 m3 (ou stères) de bois sec, soit environ 1 à 2,5 tonnes. On peut aussi l’acheter en grande surface, en filets (ou en cartons) de 11, 15 ou 30 kg. Mais avec un prix moyen légèrement supérieur à 7 fr./ 10 kg, il faudra débourser jusqu’à 1750 fr. pour passer l’hiver.
Quant à vous servir sur les jolis tas de bûches disposés au bord des chemins forestiers, n’y songez pas: il s’agit bien de bois de feu, mais il est à vendre. Selon les régions, le propriétaire (en général la commune) le vend de 60 à 100 fr. le stère de bois frais, qu’il reste encore à faire sécher et à couper au gabarit de l’âtre. Comptez entre 150 fr. et 200 fr./stère pour le produit fini, livré à domicile.
Tout ce qui reste
Cher? Oui et non. De fait, le bois de feu est un sous-produit de l’exploitation forestière: ce qui reste (environ un tiers du bois extrait) lorsque tout ce qui est utilisable pour l’industrie a été prélevé. Or, la topographie accidentée du terrain rend cette extraction effroyablement onéreuse.
Cela d’autant plus pour les forêts dites de «protection», où arbres et racines servent de rempart contre les chutes de pierres et stabilisent le terrain. Typique des Préalpes et très, très en pente, c’est l’environnement de travail de Martin von der Aa, garde-forestier cantonal à Villeneuve. «On ne sort le bois abattu que lorsque c’est nécessaire à la régénération de la forêt, précise-t-il. Sur un terrain en pente, extraire un stère de bois revient vite à 110 fr., voire plus lorsque le lieu de coupe est difficile d’accès.»
Service rendu
Aux coûts d’extraction s’ajoutent encore ceux du transport, de la transformation ainsi que du stockage nécessaire au séchage (voir tableau page suivante). Reporter tous ces coûts sur le prix du bois le rendrait prohibitif. Résultat: même si les communes qui en vendent perçoivent des subventions à titre d’aide à la gestion de l’environnement, la marge commerciale est faible, voire souvent inexistante.
Ce commerce peut toutefois être rentable, à certaines conditions. Ainsi, faute de réserves suffisantes en feuillus, plusieurs communes valaisannes doivent importer leur bois du canton de Vaud, et prélèvent parfois au passage un petit bénéfice.
Vendu par les communes, le bois l’est aussi par des entrepreneurs privés, qui achètent du bois vert et le transforment en bois de feu. Pour dégager une marge, il faut minimiser les coûts de transformation, ce qui est d’autant plus facile que l’entreprise est de dimension importante. Le point crucial se situe dans la dernière étape (séchage, transformation et livraison). Le bénéfice n’est pas énorme – environ 4 fr. par stère de hêtre sec, sur un prix à la livraison de 150 fr. Et les entrepreneurs forestiers savent que de nombreux paysans font de meilleures affaires en achetant du bois qu’ils transforment durant l’hiver et vendent au marché gris.
Seul argument pour convaincre les consommateurs de s’adresser au marché officiel plutôt qu’au marché gris: le service. Et la qualité du bois qu’on ne voit qu’à l’usage: un bois insuffisamment sec, contenant 20 à 25% d’humidité, brûle mal et encrasse la cheminée. Pour dégager son pouvoir calorifique optimal, le bois doit avoir une teneur en eau de 15 à 20% au maximum, soit avoir été séché à couvert durant un an au minimum (2 à 3 ans pour le chêne). Une période qu’il peut être tentant d’écourter. Ce que feraient, paraît-il, des entreprises françaises, qui importent du bois de feu bon marché contenant encore jusqu’à 30% d’humidité.
Economies risquées
«D’un point de vue économique, mieux vaut acheter le bois de sa région», estime Martin von der Aa. Le garde-forestier met encore en garde contre la tentation d’acheter du bois brut (en stères d’un mètre de long) et de s’occuper soi-même de la transformation: «Travailler avec une tronçonneuse nécessite un équipement de sécurité (pantalon, casque, gants, visière) et de l’expérience.» Cinquante ou cent francs d’économie par hiver valent-ils quelques doigts? Encore un calcul très simple... à méditer au coin du feu.
Blaise Guignard
cinq essences et leur pouvoir calorifique comparé
Du bois sec et naturel pour un bon feu de cheminée
• Pouvoir calorifique
Avec une valeur moyenne de 5,15 kWh/kg, le pouvoir calorifique du bois bien sec diffère très peu selon les essences. Mais à volume égal, un bois plus dense, donc plus lourd, comme le hêtre ou le charme recèlera plus d’énergie qu’un bois plus léger, comme le sapin ou le peuplier.
• Séchage
Pour dégager son pouvoir calorifique optimal, un bois doit avoir une teneur moyenne en eau de 15 à 20% au maximum. Le séchage doit suivre les exigences suivantes:
– pré-séchage à couvert en stères en forêt,
– stockage protégé durant 1 à 2 ans selon les conditions d’entreposage à domicile, ensuite,
– à la maison, entreposage dans un endroit sec et aéré.
Un entreposage sans protection ou dans un endroit mal aéré, ainsi que le stockage de bois non fendu font perdre une partie du pouvoir calorifique du bois.
• Bois naturel, contreplaqués, agglomérés
Seul le bois naturel peut être brûlé en cheminée. Les panneaux de particules, agglomérés et contreplaqués, ne sont pas autorisés.
• Allumage
C’est durant la phase d’allumage que la concentration de polluants est maximale. Il faut donc veiller à atteindre des hautes températures le plus rapidement possible. L’utilisation de bûchettes d’allumage en résineux est idéale.
• Déchets
Les cendres de bois naturel sont principalement composées de silice, calcium, potasse et magnésium. Elles peuvent être utilisées en petite quantité comme engrais de jardin: une surface de 100 m2 peut recevoir 30 litres de cendres par an, soit le résultat de la combustion de cinq stères de bois. L’excédent doit être éliminé comme ordure ménagère.
2e encadré
le stÈre de hÊtre en suisse romande
D’une région à l’autre, les prix flambent
Le prix du bois de feu varie selon les régions. Les différences tiennent surtout dans les coûts d’extraction. Le coût varie aussi lorsque la commune n’est pas productrice, mais uniquement importatrice, comme de nombreuses communes valaisannes. En revanche, les coûts de transformation sont similaires d’une région à l’autre.
Les exemples ci-dessous illustrent ces différences et similarités en prenant pour base un stère (S) de hêtre — le bon vieux foyard des campagnes romandes.
Lieu: Genève Lausanne Neuchâtel Riddes (VS) Montreux
Propriétaire: Canton Commune Canton — 4 Commune
Bois vert1 90 fr. 75 fr. 65 à 70 fr. — 85 fr.
Bois sec2 110 fr. 95 fr. 100 fr. 110 fr. 100 fr.
En bûches de 33 cm 165 fr 115 fr. 130 fr. 130 fr. 135 fr.
Livraison3 40 fr./ S (1 S) 15 à 30 fr. 20 fr. Plaine: 25 fr. 30 fr.5
20 fr./S (2-5 S) Mi-coteau: 30 fr.
Station : 35 fr.
1 En quartiers d’un mètre, à prélever au bord du chemin. 3 Rayon moyen = 15 km.
2 Séché à couvert durant 4 mois au minimum. 4 Pas de production de feuillu.
5 Territoire communal (communes limitrophes: 40 fr.; autres communes: 100 fr./h).