Pierrick Brawand est furieux. Il y a quelques semaines, il reçoit dans sa boîte aux lettres une publicité lui proposant de réaliser une analyse graphologique gratuite. Le courrier, qui provient de la société DPH (Développement Personnel Harmonie) à St-Prex (VD), contient un texte d’une dizaine de lignes, à recopier à la main et à retourner dans une enveloppe préaffranchie.
D’ordinaire méfiant, notre lecteur décide de répondre à l’invitation. «Je me suis dit que je ne risquais rien, vu que c’était gratuit», raconte-t-il. Effectivement: quelques jours plus tard, il reçoit son analyse. Mais à la fin de la lettre, il comprend pourquoi on lui a offert un tel service «gratuitement»: l’auteur de son analyse, une professionnelle de l’Institut de graphologie Serubi, à Paris, l’invite à poursuivre le travail amorcé, en proposant une étude plus approfondie au prix de 190 fr.
Analyses identiques
Irrité par la méthode de prospection, Pierrick Brawand n’y donne pas suite. Mais quelques jours plus tard, il apprend qu’une de ses connaissances a répondu à la même publicité. Et quelle n’est pas sa surprise, alors, de découvrir que, excepté une ou deux phrases, les deux analyses sont quasi identiques!
Les deux personnes, qui ont une écriture «penchée vers la droite», sont décrites comme intelligentes et dynamiques, mais inhibées par un ancien conflit de jeunesse.
La graphologue se propose donc de les aider à découvrir leurs contradictions au travers d’une analyse graphologique plus détaillée:
«C’est de la tromperie, fustige notre lecteur. Il n’y a rien de personnel dans ces analyses. On nous fait croire que nous avons un problème dans l’unique but de nous soutirer de l’argent».
Du côté de DPH, on refuse de comprendre la réaction de notre lecteur. Pourtant, entre-temps, la rédaction de Bon à Savoir
a découvert une troisième personne ayant répondu à la publicité et qui a reçu la même analyse en retour.
Même écriture
«Ces trois personnes ont certainement la même écriture», assure le directeur de DPH, qui refuse que nous publiions son nom. «Il est clair que pour une analyse gratuite, on ne va pas passer une heure par cas. Nous ne travaillons qu’avec quelques critères. Il est donc inévitable, sur les 25 000 analyses réalisées chaque année, qu’une ou deux personnes reçoivent la même.»
Mais comment se fait-il que le hasard nous ait justement conduits à rencontrer ces trois cas exceptionnels? Et n’est-il pas étonnant que ces individus, d’âge, de sexe et de milieu différents, soient tous trois «entravés dans leurs actions par les empreintes du passé»? Le gérant de l’Institut Serubi, qui mandate DPH pour commercialiser ses prestations en Suisse, reste très prudent: «Il s’agit d’une opération de marketing, je le reconnais, concède Christian Groscolas. Les études sont faites pour déclencher un achat, mais elles sont exactes. Tout le monde a des problèmes, c’est notre société qui est comme ça. Je déplore que nous soyons obligés d’utiliser de telles méthodes, mais si nous ne le faisions pas, nous pourrions mettre la clé sous la porte».
Peut-être bien, mais de tels exemples provoquent forcément un doute sur la fiabilité des études graphologiques payantes, fussent-elles plus élaborées. Même si l’Institut Serubi est actif depuis douze ans à Paris et «leader dans sa profession».
Sophie Pieren
recrutement
Méthode moins populaire
Il y a quelques années, lorsque la conjoncture était au plus bas, la graphologie était très largement utilisée par les bureaux de recrutement du personnel. Cette méthode était alors pratique pour départager rapidement et sans trop de frais des candidats trop nombreux. En 1994, une étude de l’Université de Berne constatait ainsi que 65% des entreprises suisses recouraient à un graphologue lors de l’engagement d’un cadre.
Avec la reprise de l’économie, il semble que cette technique de recrutement ait perdu de son attrait. Selon la Weltwoche, qui a mené une enquête sur le sujet en juillet 2000, les entreprises préfèrent aujourd’hui prendre le temps de proposer à des candidats plus rares des questionnaires ouverts ou des séminaires de mise en situation. L’hebdomadaire alémanique relève en outre que l’Université de Zurich a supprimé les cours de sensibilisation à la graphologie qu’elle avait instaurés dans les années 90.
Quoi qu’il en soit, sachez qu’un employeur n’a pas le droit de demander une étude d’écriture sans avoir obtenu l’accord du candidat.