Une journée dans un EMS (établissement médicosocial) vaudois revient, en moyenne, à 308.60 fr. par jour, soit plus de 9000 fr. par mois. L’assurance maladie et le canton prennent un gros tiers des coûts à leur charge, ce qui laisse quand même une ardoise de presque 6000 fr. pour le résidant. Ajoutez à cela les primes de l’assurance maladie (440 fr. en moyenne), les frais de santé (franchise et quote-part), les dépenses personnelles (TV et téléphone privés, coiffure, nettoyage chimique, boissons alcoolisées, etc.), le surcoût éventuel pour une chambre privée à 1 lit, et ce sont, au bas mot, plus de 8000 fr. qu’il va falloir payer chaque mois. Voilà pourquoi près de 80% des personnes vivant en EMS touchent des prestations complémentaires (PC) pour compenser la différence entre leurs revenus et les frais qu’elles doivent assumer.
Comme pour les retraités vivant à domicile, ces prestations ne sont pas un prêt, mais un droit constitutionnel non remboursable. Le calcul pour savoir si l'on y a droit ou non est assez similaire à celui qui est fait pour une personne hors EMS*, avec, toutefois, quelques exceptions de taille, notamment parce que la Confédération autorise les cantons à y mettre leur grain de sel.
Exemple concret
Prenons l’exemple d’un couple vaudois touchant une rente AVS. Situation complexe, mais malheureusement fréquente, les deux époux sont «séparés par l’hébergement». Comprenez que l’un doit entrer en EMS, tandis que l’autre reste dans son appartement. Calculons maintenant s’ils ont droit, oui ou non, à des prestations complémentaires, tant pour payer la pension du home que pour rester à domicile. Attention toutefois: cela ne concerne que les prestations fédérales, certains cantons proposant, en cas de besoin, des compléments bienvenus.
Principe de base: les revenus font un tout, puis doivent être dissociés par moitié. Ainsi, notre couple touche une pleine rente AVS de couple, soit 42 120 fr. (1) par an, et une rente du 2e pilier de 24 000 fr. (2), auxquels il faut ajouter le rendement (400 fr. (3)) d’une fortune de 80 000 fr. (5).
Par ailleurs, l’Etat part à la recherche d’éventuelles donations (lire encadré), ici 50 000 fr. (6) offerts aux enfants en 2009. Après déduction de la franchise (10 000 fr. par an dès la 2e année), il reste 20 000 fr. (7), ce qui donne une fortune totale de 100 000 fr. (8). Il faut alors déduire une franchise de 60 000 fr. (9) (37 500 fr. pour les personnes seules) et multiplier le solde (10) par 0,1 pour obtenir l’imputation (11), c’est-à-dire la part de la fortune que les PC considèrent comme un revenu.
C’est d’ailleurs à ce niveau que les choses changent considérablement en fonction du canton de domicile et de la situation familiale. La Confédération estime, en effet, que l’imputation est de 1/10e pour les rentiers AVS et de 1/15e pour les rentiers AI, mais laisse, lorsque le résidant vit dans un EMS, la possibilité aux cantons de réduire ou d’augmenter la part de la fortune à prendre en considération. Or, en Suisse romande, tout le monde retient le taux le plus haut, soit 1/5e, à l’exception du Valais qui reste à 1/10e. Cependant, pour tout compliquer, cette exception n’est plus valable du moment qu’un des deux membres du couple vit toujours à domicile: voilà pourquoi l’imputation de notre exemple vaudois n’est que de 1/10e, malgré le fait que Monsieur vit dans un home.
Autre exception notable pour les propriétaires: si la maison familiale n’est plus habitée par un des époux au moins, c’est sa valeur vénale (valeur du marché) qui est prise en compte dans la fortune immobilière. Alors que, dans le cas de notre couple, où Madame y habite encore, c’est la valeur fiscale qui est retenue, avec, en plus, une déduction de 300 000 fr. puisque l’autre conjoint vit en EMS.
Les dépenses
Le calcul pour chaque conjoint est ensuite dissocié, chacun s’octroyant la moitié des revenus (13). Les dépenses sont plus faciles à calculer. Pour la personne en EMS (colonne de gauche), il s’agit principalement des frais de pension (14) (sauf les frais privés, comme le supplément pour une chambre à un lit, TV et téléphone, coiffure, nettoyage chimique, etc.), augmenté d’un forfait (cantonal) pour l’assurance maladie h et un autre (cantonal aussi) pour les dépenses personnelles (18). Tandis que la personne qui reste à domicile additionne un forfait (fédéral) pour les besoins vitaux (15), le loyer (15 000 fr. au plus pour les couples, 13 200 fr. pour les célibataires) (16) et, elle aussi, le forfait pour l’assurance maladie (17).
La différence entre ces dépenses et les revenus indique le montant de la PC (20), 32 876 fr. pour compléter la pension de l’EMS, et 4306 fr. pour Madame, qui passent à 5236 fr., car la PC minimale correspond au forfait pour l’assurance maladie. Des montants qui vont augmenter l’année suivante, puisque la fortune aura été partiellement utilisée pour compenser tout ce que les revenus et les PC n’ont pas suffi à payer. Notre couple adressera alors une nouvelle demande à sa caisse de compensation (toutes les adresses sont jointes à nos calculateurs).
Par ailleurs, du moment que les deux membres du couple ont droit à une PC, ils ont aussi la possibilité de se faire rembourser leurs frais de santé (franchise et quote-part de l’assurance notamment) et toute une série d’autres frais jusqu’à concurrence de 25 000 fr. par personne*.
Christian Chevrolet
*Lire «Quand l’AVS ou l'AI ne suffisent pas», TCF 6-7/2013. Tous nos articles sont disponibles, gratuitement pour nos abonnés, dans nos archives électroniques.
Pour télécharger le tableau comparatif, se référer à l'encadré au-dessous de la photo.
Ces donations qu’il faut rembourser…
L’Etat accepte de partiellement se substituer à la famille, mais jusqu’à un certain point. Ainsi, lorsque les revenus ne suffisent plus à couvrir les frais des vieux jours, la plupart des autorités communales renoncent à invoquer ce qu’on appelle la «dette alimentaire, c’est-à-dire l’obligation inscrite dans le Code civil, obligeant les enfants vivant «dans l’aisance» à assister leurs parents dans le besoin. En revanche, elles ne vont pas hésiter à exiger le remboursement partiel d’une éventuelle donation faite au préalable.
Mais qu’est-ce que les communes viennent faire ici, puisque les PC sont accordées par le canton? C’est simple: comme les caisses de compensation tiennent compte des donations antérieures à une demande (voir points 6 et 7 des explications et du tableau), elles vont refuser ou réduire des PC en fonction de l’importance et de la durée d’une éventuelle avance sur l’héritage. Du coup, il ne reste qu’une solution au pensionnaire démuni: demander l’aide sociale à sa commune pour combler le déficit entre ses revenus et les frais de l’EMS. Celle-ci va y répondre, car elle en a l’obligation (le Tribunal fédéral l’a rappelé dans une jurisprudence de 2008). Mais elle va ensuite se retourner contre les enfants et exiger la restitution d’une partie du don reçu à l’époque.
Faites vos calculs
Cette participation est certes limitée dans le temps, mais pas tant que ça... Imaginons qu’une personne venant d’entrer en EMS ait donné, en 2001, la maison familiale d’une valeur de 700 000 fr. à ses enfants, flanquée d’une petite hypothèque de 150 00 fr. Or, aujourd’hui, il lui manque 13 000 fr. par an pour couvrir ses frais de pension, qu’aucune PC ne va combler à cause de cette donation, faite il y a 12 ans pourtant. La commune, obligée d’intervenir, va donc solliciter les donataires.
Résultat des coursest: malgré les franchises accordées (10 000 fr. par an dès la 2e année après la donation), les enfants vont devoir assumer le déficit (13 000 fr.) jusqu’en 2024, leur participation diminuant ensuite jusqu’à s’éteindre, mais en 2019 seulement!
Comme quoi il est faux, comme écrit dans notre article de mai 2012 (p. 19), expliquant dans le détail le calcul ci-dessus, de croire qu’en faisant une avance sur l’héritage, «c’est tout ça qui n’ira pas à l’Etat»…