En Suisse, il est rare de voir des fabricants procéder à des rappels de produits. C’est pourtant arrivé au milieu de l’année dernière: Migros a en effet retiré de ses rayons ses deux sprays imperméabilisants Rapi Aqua Stop et Rapi Intemp. Simultanément, le spray K2r Imperméabilisant pour textiles et cuir a été retiré de la vente.
La raison de ces rappels? En quelques semaines, 200 consommateurs ont subi de graves troubles respiratoires, dus à une intoxication par ces produits. En cause, une nouvelle substance active, une résine fluorocarbonée, qui imprégnait non seulement le cuir et les tissus, mais aussi… les poumons! Le brouillard de vaporisation inhalé avait en effet détruit des alvéoles pulmonaires des utilisateurs. L’Office fédéral de la santé publique (OFSP) a aussitôt publié une mise en garde au sujet de ces sprays et interdit le composé fluoré spécial à l’origine des problèmes respiratoires.
Désormais, les vaporisateurs qui contiennent d’autres résines fluorocarbonées sont enregistrés dans la classe de toxicité 5 (ce qui implique que dans le magasin où le produit se vend, une personne compétente peut facilement être consultée par le client). En outre, les fabricants doivent les signaler par une bande rouge et l’emballage doit comporter les mises en garde prescrites par l’OFSP.
Microparticules
Le danger vient de la taille des particules diffusées, parfois inférieure au micron (1/1000 de mm). Elles ne peuvent ainsi pas être filtrées par le système respiratoire et vont se loger profondément dans les poumons où elles peuvent causer de graves dommages.
Bon à Savoir a donc confié neuf produits vendus dans les grandes surfaces et les magasins de sport au bureau d’ingénieurs en techniques des procédés Wori, en Allemagne, qui a recherché le taux de particules pouvant pénétrer dans les poumons.
Parallèlement, nous avons demandé à l’Institut de l’environnement Wiertz-Eggert-Jörissen de Hambourg (D) de rechercher deux substances pouvant être toxiques, à savoir des phtalates et du dibutylétain.
Médecins épouvantés
Premier constat: la taille des particules diffère énormément d’un produit à l’autre.
> Deux produits libèrent moins de 1% de microparticules. Il s’agit du Toko Textile Proof et du Hey Impra Tex. Ils sont ainsi les seuls à mériter l’appréciation «recommandable» dans notre test (voir tableau). Leur unique défaut: ils ne conviennent que pour l’imperméabilisation des textiles. Le produit de Toko est un spray, celui de Hey un vaporisateur à pompe.
> Les sprays de Collonil et de Scotchgard (3M) contiennent plus de petites particules, mais les valeurs relevées restent modestes (respectivement 4% et 5%).
> Pour tous les autres produits examinés, le taux de microparticules vaporisées se situe entre 8% et 16%.
> Le spray Kiwi enregistre le plus mauvais résultat, mais offre au moins l’avantage d’être propulsé avec de l’air, au lieu des habituels mélanges gazeux, ce qui est moins nocif.
Thomas Richter, qui a mené les recherches chez Wori, et les médecins spécialisés a qui nous avons soumis ses résultats sont épouvantés: «Je n’aurais jamais imaginé des valeurs atteignant les 16% de particules pouvant pénétrer dans les poumons!», s’exclame le Dr Karl Klinger, spécialiste des maladies pulmonaires au Centre pulmonaire Hirslanden de Zurich. Il est d’ailleurs d’avis que
les sprays devraient être exempts de toute microparticule. Comme l’explique ce médecin «le poumon fonctionne comme un organe immunitaire». Lorsque d’autres particules que de l’air
ou de la vapeur d’eau (qu’ils proviennent de gaz d’échappement ou industriels ou
de sprays) y pénètrent, cela peut provoquer une vive réaction de défense, entraînant d’importantes inflammations.
Présence d’impuretés toxiques
Autre problème: la composition des sprays, qui incluent d’autres substances dangereuses pour l’organisme, tels les phtalates et le dibutylétain. En effet, les phtalates, connus comme adoucissants dans le PVC, sont mis en relation avec des dommages au foie et aux reins, la diminution de la fertilité chez l’homme, et ils peuvent être cancérigènes. Du reste, l’Union européenne (UE) va progressivement les interdire, d’abord dans les colles et les peintures et, dès le 1er avril 2005, dans les cosmétiques. Et le conseil de compétitivité de l’UE vient de proposer l’interdiction définitive des phtalates dans les jouets pour dentition destinés aux enfants de moins de 3 ans. Une décision provisoire d’urgence avait déjà été prise dans ce sens en 1999 et l’interdiction définitive devrait entrer en vigueur début 2006.
Quant au dibutylétain, il est hautement toxique et endommage le système immunitaire et hormonal à petite dose déjà.
Mais il est vrai que les phtalates décelés dans les sprays de K2r, de Collonil et de Coop, ainsi que le dibutylétain trouvé dans le produit de Scotchgard pourraient n’être que des souillures. Un doute confirmé par 3M, le fabricant de Scotchgard, qui nous assure que le dibutylétain n’est en effet «pas un composant qui entre dans la formule de base» de son imperméabilisant.
Changer de produit
Les sprays contiennent encore d’autres composantes à risque: des résines fluorocarbonées ou de l’huile de silicone, substances actives pour l’imperméabilisation. Lorsqu’elles parviennent dans les poumons, elles peuvent boucher les alvéoles pulmonaires.
Mais pour Jan-Olag Gebbers, médecin-chef à l’Institut pathologique de l’Hôpital cantonal de Lucerne, peu importe la substance: «Les particules qui pénètrent dans les poumons représentent un gros problème.»
Ce spécialiste rappelle que, parmi les milliers de substances chimiques utilisées dans l’industrie, seules 400 ont à ce jour été testées quant à leur potentiel cancérigène. Or, 150 seulement ont été désignées comme cancérigènes par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). «Mais qui est-ce qui garantit que tout le reste est inoffensif?», s’interroge-t-il.
Et si le médecin met en cause les fabricants, il lance aussi une pierre dans le jardin des consommateurs: «Pourquoi donc vouloir à tout prix utiliser un spray imperméabilisant, alors qu’il existe des produits en mousse ou en crème qui procurent le même résultat?» (Lire encadré).
Rolf Muntwyler / jf
Produits de substitution
Préservez vos organes respiratoires
Les mousses imperméabilisantes sont un peu moins faciles à appliquer que les sprays. A l’inverse, elles ne risquent pas d’endommager les poumons des utilisateurs. Contrairement aux vaporisateurs à pompe, qui comportent aussi des risques pour les organes respiratoires. L’offre en mousses imperméabilisantes n’est pas très étoffée.
Voici les produits disponibles en Suisse:
- Rapi Aqua Stop Mousse, pour cuir et textiles (8,50 fr./150 ml).
- Nikwax TX.direct Sprayon, pour tissus perspirants (24,90 fr./300 ml).
- Nikwax Nubuck & Suede Proof, pour cuir nubuck et daim (14,90 fr./125 ml).
- Nikwax Aqueous Wax, pour chaussures en cuir et tissus perspirants (14,90 fr./125 ml).
- Collonil Progress (mousse, 12,50 fr./200ml) et Collonil Leather (gel, 16,90 fr./
200 ml), tous deux pour cuirs lisses.
Pour les tissus — y compris les textiles perspirants — il existe des produits appelés «wash-ins», qu’on rajoute simplement lors du lavage du linge. - Nikwax TX.direct washin, pour textiles (19,90 fr./300 ml).
- Nikwax Down proof wash-in, pour vestes ou sacs de couchage en duvet (19,90 fr./300 ml).
- Nikwax Polar proof wash-in, pour tissus en laine polaires (19,90 fr./300 ml).
Selon le cuir, les chaussures et les vestes peuvent aussi être protégées avec une crème grasse.
Si, malgré tout, on se trouve dans l’obligation d’utiliser un spray, il est impératif de procéder à l’opération en plein air et de veiller à ne pas s’exposer au brouillard de vaporisation, en prenant garde à la direction du vent.
Les personnes souffrant de problèmes respiratoires et notamment d’asthme ne devraient pas utiliser ces produits.
Enfin, les chaussures et les vêtements qui viennent d’être traités doivent être laissés à l’extérieur pendant le séchage.