Qu’il soit porté au quotidien ou seulement lors d’occasions spéciales, le vernis à ongles a la cote auprès des Suissesses. Celles-ci dépensent en effet pas moins de 35 millions de francs par année pour ces laques, selon les estimations des professionnels de la branche.
Mais en voulant embellir ses mains, on prend également le risque d’entrer en contact avec des substances nocives. Pour se faire une idée de la toxicité des produits présents sur le marché, Bon à Savoir a réalisé un test, portant sur quinze vernis à ongles. Les marques les plus vendues en Suisse, à savoir Maybelline, Nivea, L’Oréal et Astor, figurent parmi les échantillons analysés. A cela s’ajoutent les produits Migros (Cover Girl, Manhattan et No 7) ainsi que des marques particulièrement bon marché, telles que Lucia Fun ou Lynn Merill. Enfin, nous avons également glissé deux produits de luxe (Dior et Estée Lauder) dans notre panier.
Nous avons demandé au laboratoire de recherches sur l’environnement Wiertz-Eggert-Jörissen, à Hambourg (D), d’analyser ces vernis. Les spécialistes ont axé leurs recherches sur la détection des produits douteux, à savoir:
- Le formaldéhyde, soupçonné de provoquer le cancer et d’être à l’origine de certaines allergies.
- Le phtalate, qui peut endommager le foie, les reins et les organes génitaux. Ce produit permet aux vernis à ongles de garder leur souplesse et de ne pas s’écailler.
- Les hydrocarbures aromatiques, qui peuvent endommager les organes internes et le système nerveux. Parmi ces solvants, on trouve principalement du toluène qui, déjà en petite quantité, peut être responsable de confusions mentales et de fatigue.
- Les substances organiques halogénées, dont certaines peuvent causer allergies et cancer.
- Les acrylates (acrylate de butyle et méthacrylate de méthyle ou de butyle), qui sont les impuretés des laques acryliques et sont également la cause d’allergies.
Tout en un
Dernier du classement, et de loin, le vernis Lynn Merill contenait à peu près tout ce qui ne devrait pas se trouver dans un produit cosmétique. Le laboratoire y a décelé plus de 3 g/kg de formaldéhyde, une haute teneur en phtalate et une forte proportion de toluène (20%). «Les substances trouvées par le laboratoire font, hélas, effectivement partie de la composition de ce vernis et dans les proportions relevées», concède Jörg Birnstiel, porte-parole de Coop (la marque Lynn Merill faisant partie de l’assortiment de l’EPA, enseigne qui a été récemment absorbée par Coop). Le géant de la distribution a affirmé son intention de «prendre les mesures nécessaires pour éliminer ces composants douteux» de ses cosmétiques.
De son côté, le vernis de la marque Astor a affiché la plus haute valeur de toluène (25%) et la plus grande quantité d’acrylates. «Les produits listés dans les résultats de l’analyse correspondent en sortes et en teneurs aux directives de l’UE en matière de cosmétiques, ainsi qu’aux prescriptions suisses», se contente de répondre laconiquement la société Coty, qui distribue la marque Astor en Suisse. Les composants de leurs cosmétiques auraient fait l’objet d’analyses et seraient «sûrs pour le consommateur.»
Cover Girl sera épuré
Le vernis de Cover Girl contenait quant à lui la plus grande proportion de phtalate, produit que son fabricant, la société Procter & Gamble confirme utiliser. La concentration de cette substance aurait cependant été jugée sûre par des experts. Ce qui n’empêchera pas le producteur de changer son fusil d’épaule pour la nouvelle gamme. Attendue pour cet automne, celle-ci devrait être débarrassée de tout phtalate.
Quant aux responsables des marques Clinique, L’Oréal et Maybelline, les trois autres vernis ayant reçu la note «insatisfaisant», ils n’ont pas désiré se prononcer sur les résultats de nos analyses.
Le laboratoire a retrouvé des hydrocarbures aromatiques dans tous les vernis. Or, plusieurs fabricants nous ont fait remarquer que ces substances n’entraient pas dans la composition de leur cosmétique et ont fait valoir qu’il pourrait s’agir d’impuretés dans les matières premières: «Mais en utilisant des matériaux mieux filtrés, le prix du produit fini grimperait de manière disproportionnée», explique le fabriquant du vernis Manhattan de Migros. Pour tenir compte de ces possibles impuretés, nous avons donc considéré que, jusqu’à 1 g/kg de vernis (soit 1‰), la présence d’hydrocarbures dans l’analyse était tolérable et n’influençait pas la note finale.
Pas si naturel que ça
La société Boots, qui fabrique la marque No 7 jugée satisfaisante, a été surprise des résultats du test, «car ce sont là des substances qui ne doivent pas se trouver dans un vernis à ongles». L’entreprise n’avait aucune explication sur la présence de formaldéhyde ou de phtalate dans son produit.
D’autre part, alors qu’on attendait beaucoup de lui, le vernis issu de la ligne de cosmétiques naturels Santé ne s’en tire pas si bien que ça. Outre des traces d’hydrocarbures aromatiques, le laboratoire y a également décelé du formaldéhyde, du phtalate et des acrylates, ce qui ne le classe que satisfaisant. Mais la société Santé, se basant sur ses propres analyses, a «sérieusement mis en doute les résultats» de notre test, tout en se référant à une étude similaire, publiée par le magazine allemand Ökotest, où son vernis avait été jugé «très bon».
Toujours est-il que des quinze flacons achetés, seuls sept ont reçu une bonne note. Ils auraient même pu arborer la mention «très bon» s’ils n’avaient contenu des acrylates ou, pour certains, d’infimes quantités de formaldéhyde. Parmi eux, on trouve non seulement les articles de luxe coûteux, mais également des cosmétiques bon marché. Le vainqueur du test, le Lucia Fun, est même le deuxième vernis le moins cher de notre échantillonnage. Ce qui montre, une fois encore, qu’on ne peut guère se fier au prix pour juger de la qualité d’un produit.
Patrick Gut / jf
L’avis du dermatologue
Nocif, même en petite quantité
Le formaldéhyde et les acrylates dans le vernis à ongles peuvent se révéler problématiques, selon le dermatologue et allergologue Jürg Fah. «Les symptômes peuvent se développer même si la concentration du produit est faible. La personne peut être sujette à des rougeurs, des démangeaisons voire même à des pustules ou à la peau qui pèle.»
Dès qu’on se trouve confronté à l’une ou l’autre des réactions de ce type, il faut absolument éviter de se toucher le visage, sous peine de provoquer un eczéma. Ce risque est encore accru avec les paupières et le contour des yeux. En cas de problème avec un vernis à ongles, il faudrait rapidement dresser un bilan de la situation avec un allergologue.