Les jeux sont faits, les puristes sont chocolat! Le Parlement européen a en effet entériné la directive autorisant d’introduire jusqu’à 5% de matières grasses végétales dans la recette du chocolat, malgré une farouche résistance des chocolatiers belges. Une adjonction que la Suisse avait bizarrement autorisée avant tout le monde, en 1995 déjà, sans que cela change d’ailleurs grand-chose (lire encadré ci-dessous).
Mais qu’est-ce qui peut pousser les représentants de pays connus pour l’excellence de leur chocolat à substituer le beurre de cacao par de nouvelles matières grasses végétales (MGV) comme l’huile de palme, l’huile de kokrum gurgi, l’huile de noyau de mangues, le beurre d’Illipé, le beurre de sal ou encore le beurre de karité?
– Certes, cette liste exhaustive contient des matières provenant uniquement des pays tropicaux, même si ce n’est qu’une maigre consolation pour les 10 millions d’Africains vivant du cacao, qui vont y perdre plusieurs centaines de millions de francs...
– Certes, elle exclut les huiles obtenues par voie enzymatique, telles les huiles de colza ou de lin.
– Certes, le chocolat devra toujours contenir au moins 18% de beurre de cacao, et il ne sera donc possible d’introduire ces fameuses MGV que pour la quantité dépassant ce pourcentage.
– Il n’empêche: le choc est rude! «C’est un peu comme si l’on admettait que le beurre ne soit plus un pur produit de la crème de lait de vache, mais qu’il puisse également contenir un peu de margarine», commente le magazine français 60 millions de consommateurs (mars 2000).
L’union par le bas
En fait, le chocolat est l’un des seuls produits qui ne peut circuler librement au sein de l’Union européenne. Sept pays (Grande-Bretagne, Irlande, Danemark, Suède, Finlande, Autriche et Portugal) bénéficient depuis toujours d’une dérogation les autorisant à commercialiser chez eux, mais pas dans les autres pays membres, du chocolat avec 5% de MGV. En transformant cette dérogation en autorisation, l’Europe règle le problème par le bas (en diminuant ses exigences), mais elle le règle!
Les multinationales du chocolat se frottent les mains. Non seulement elles ne seront plus contraintes d’adapter leur processus de fabrication selon les pays, mais elles pourront aussi réaliser de substantielles économies. On estime en effet que les MGV reviennent entre 3 et 10 fois moins cher que le beurre de cacao,
lequel représente 8 à 9% du prix total du chocolat. Mais les MGV ouvrent aussi de nouvelles perspectives pour les pays chauds: elles auraient en effet la faculté d’améliorer la dureté et le croquant du chocolat, tout en maintenant la texture et le brillant.
Le goût va-t-il s’en trouver dénaturé? Oui, répondent certains spécialistes. De façon tellement infime qu’il sera impossible de le déceler, affirment d’autres connaisseurs. La tradition, en revanche, en prend un méchant coup. Les organisations de
consommateurs ont donc plaidé pour un étiquetage permettant de facilement faire la différence. Elles demandaient une mention spécifique, écrite en caractères de même taille que la dénomination de vente et à chaque fois que l’appellation chocolat est utilisée sur l’emballage. Elles n’ont pas été entendues: les «vrais» chocolatiers pourront tout au plus marquer leur différence par une indication du type «pur chocolat» ou «pur beurre de cacao». C’est d’ailleurs ce qu’entendent faire les chocolatiers belges et qu’ont d’ores et déjà fait certains artisans suisses!
Christian Chevrolet
production interne
En Suisse, la tradition perdure
Il y a déjà cinq ans que la Suisse autorise l’utilisation de 5% de MGV dans son chocolat. Mais personne n’a semble-t-il exploité cette possibilité, et personne n’entend le faire maintenant que l’Europe s’est mise au diapason. «Nous n’avons aucun intérêt à changer des recettes qui plaisent à nos clients», commente Kurt Hunzinger, secrétaire de Chocosuisse, où toutes les grandes industries chocolatières ont décidé de s’en tenir au beurre de cacao.
Mais attention: cela ne concerne que la production suisse. «A Broc, souligne Daniel Herrera, porte-parole de Nestlé Suisse, il n’est pas question de changer la recette de Cailler, éprouvée depuis plus d’un siècle!» Même si, pour la petite histoire, il y a aussi des décennies que certaines pralines, comme celle du Frigor, sont composées de MGV telles l’huile d’amandes et de noisettes, sans que cela soit interdit et gêne quiconque, bien au contraire! Sur les marchés internationaux, qui représentent la majorité de ses activités, Nestlé se réserve la possibilité d’utiliser des MGV selon les pays de destination, en fonction des conditions, mais aussi des goûts locaux.
Les artisans ont, quant à eux, réagi il y a quatre ans déjà, en créant un label de qualité: «Spécialiste du chocolat». Pour l’obtenir, ils s’engagent, entre autres, à n’utiliser que du beurre de cacao. Pour ce faire, ils ont logiquement obtenu l’assurance écrite que leurs fournisseurs produisent la base de leurs spécialités, la «masse à fondre», sans MGV.