Par une pluvieuse après-midi d’hiver à Neuchâtel, Michel Rossier se réjouissait d’aller voir avec ses deux fils de 6 et 8 ans La couleur du paradis, un magnifique film «tous publics». Une voisine lui avait recommandé l’œuvre de Majidi, tout en le mettant en garde: une bande-annonce pour le film American psycho précédait la diffusion! Elle-même en avait eu des haut-le-cœur la veille, alors qu’elle assistait à la projection de 18 heures avec ses enfants, également âgés de 6 et 8 ans.
Notre lecteur a dû se rendre à la triste évidence: malgré l’alerte donnée la veille à la caissière du cinéma par sa voisine, la bande-annonce n’avait pas été retirée! Pistolet braqué contre une tempe, jaillissement de sang, gestes sadiques: tous les ingrédients du film violent étaient réunis. Devant le grand écran, impossible de tourner le bouton, difficile de sortir de la salle en bousculant les spectateurs. Michel Rossier se résout donc à plaquer ses mains sur les yeux de ses deux enfants, en leur expliquant que la séquence n’est pas pour eux.
Une erreur
Plusieurs parents scandalisés écrivent alors au service neuchâtelois chargé de la surveillance des cinémas, qui interpelle à son tour l’exploitant de la salle, la société Cinepel. Celui-ci fait ses excuses et parle d’une erreur regrettable: «La personne responsable des lancements a placé la bande-annonce d’American psycho par méconnaissance du contenu, car elle rentrait de vacances.»
Lorsqu’elle s’est rendu compte de son erreur, quelques jours après le début du film, la responsable a immédiatement remplacé la séquence violente, assure encore l’exploitant, qui promet de «prévoir un visionnement interne des bandes-annonces de manière régulière».
Un couac, sans doute. Mais le cas ne paraît pas isolé. Les quotidiens 24 Heures et la Tribune de Genève relataient récemment l’indignation de parents ayant vécu des expériences similaires: la bande de lancement de Gladiator avant Stuart Little, l’histoire d’une petite souris destinée aux enfants, ou encore l’annonce de Dinosaure avant La mouette et le chat, un film pour tout-petits.
Pourtant, le choix des bandes-annonces ne dépend pas que du bon vouloir et du sens de l’éthique des exploitants de salles. Dans plusieurs cantons, des règles précises sont fixées par les législations sur le cinéma. Ainsi, à Neuchâtel, il est dit que «le classement d’un film est valable également pour la bande dite de lancement». Encore plus précis, le Jura prévoit que pour les films «où sont admis des mineurs, il est interdit de faire de la publicité pour des films qui leur sont interdits». Et Genève est on ne peut plus clair: «Est interdite la projection de bandes de lancement concernant des films pour lesquels l’âge d’admission est supérieur à celui fixé pour le film principal.»
Cadre légal
Les autres cantons romands ne prévoient rien, mais les cinémas assurent qu’ils se soucient de diffuser des séquences de lancement adaptées au public. «Il est clair qu’avant un film «pour tous», nous annoncerons des œuvres à tendance familiale et non des films pour 16 ou 18 ans, remarque Marc Salafa, exploitant à Fribourg. Chaque bande-annonce est visionnée à l’avance. Nous n’avons pas intérêt à mécontenter notre public.»
Reste que tous les cinémas ne pratiquent pas le visionnement systématique des bandes-annonces, comme notre exemple neuchâtelois l’a montré plus haut et comme nous l’ont avoué d’autres exploitants. Suzanne Pasquier
Et à la TV?
Les parents veillent dès 20 h
La TSR a semé la panique début mars, pendant quelques jours, en diffusant l’épouvantable bande-annonce de L’exorciste en plein après-midi. Un couac malheureux, s’est excusée «votre télévision» en repoussant la scène d’horreur aux heures tardives. Le principe de base de la TSR: dès 20 h, les parents assument l’entière responsabilité de ce que regardent les enfants. L’après-midi, l’émission «Les Zaps» (sur TSR2), peut en revanche être vue sans la présence des parents. Mais dès que le petit logo du programme pour jeune public disparaît, pères et mères devraient jeter un œil sur ce que regarde leur progéniture, même si le cap des 20 heures n’est pas franchi.