Le 18 août 2004, Gianna*, 29 ans, roule sur la route menant de Vevey à Lausanne. Un véhicule la percute frontalement à 70 km/h. La conductrice a donné un coup de volant, affolée par une… araignée dans l’habitacle.
Touchée à la tête et au thorax, Gianna frôle la mort. Transportée par hélicoptère au CHUV, elle est soignée au service de chirurgie thoracique et vasculaire pendant deux semaines avant d’être transférée dans une clinique de réhabilitation de Montreux. Elle ne retournera à son domicile que deux mois plus tard avec d’importantes séquelles neurologiques.
Malgré sa longue absence, son employeur, une multinationale basée à Lausanne, lui conserve son poste jusqu’à fin 2006. Avant l’accident, elle maîtrisait six langues, dont le japonais, et gagnait 116 000 fr. par an. D’où l’enjeu considérable si les assurances doivent lui verser une rente à vie: le montant peut porter sur plusieurs millions.
Aujourd’hui, la jeune femme n’est pas complètement remise: elle ne travaille qu’au ralenti et ne peut rester concentrée plus d’une demi-heure. Même en français et en italien, elle cherche encore ses mots. Elle souffre de violents maux de tête avec évanouissements intempestifs. La conduite lui reste déconseillée, selon un rapport clinique. Elle doit prendre fréquemment le taxi et être accompagnée lors de ses déplacements, généralement par sa mère qui habite dans le même immeuble.
Les assureurs rechignent
Malgré la responsabilité clairement admise de leur assurée, dès janvier 2007, la Zurich (RC) et Axa Winterthur (assurance accidents) ne versent plus d’indemnités. Un seul acompte de 10 000 fr. a été payé en novembre 2005. A fin 2006, les assurances déposent même une plainte pénale contre la victime de l’accident pour escroquerie, simulation et abus de confiance. Elles ont mandaté un détective privé qui a photographié la jeune femme servant une consommation dans un bar feutré de Montreux tenu par son ami: «Je n’étais ni employée, ni salariée. Aurais-je dû rester à la maison à pleurer et à ne rien faire?» se demande la jeune femme (lire l’encadré). Les assureurs lui reprochent aussi d’être partie en vacances au Mexique. Quelques mois plus tard, des policiers débarquent à son domicile à 6 heures du matin, l’embarquent au poste et l’interrogent toute la journée comme une criminelle. Une expérience traumatisante de plus.
De victime à accusée
Les conséquences financières sont catastrophiques: la victime devenue accusée se voit submergée de commandements de payer et de rappels, notamment des médecins et thérapeutes qui soignent ses diverses séquelles. La pharmacie ne veut plus fournir de médicaments sans être payée cash. Les assureurs la renvoient à sa caisse maladie.
Récemment, le juge a fini par classer toutes les accusations, sauf celle de faux qui touche des factures de taxi. Mais Gianna a retrouvé le principal chauffeur et son avocat a demandé au juge de l’interroger pour classer cette dernière plainte. La partie adverse temporise, demande des délais et pendant ce temps-là, Gianna se ronge les sangs. La balle est dans le camp des juges, cinq bonnes années après l’accident.
Olivier Grivat
* Nom connu de la rédaction
Coup de main ou travail rémunéré?
Un récent arrêt du Tribunal fédéral (8 C_807/2008) autorise les assureurs à faire surveiller leurs assurés par des détectives privés en cas de doute, mais ils doivent s’abstenir de tendre des pièges. Notre lectrice aurait-elle donc dû rester à la maison et ne rien faire au lieu de mettre tout en œuvre pour recouvrer une certaine indépendance (lire ci-contre)?
Les assureurs Zurich et Axa Winterthur ne commentent pas le cas particulier, mais font valoir que leur rôle consiste à protéger l’ensemble des assurés contre les abus commis par une minorité.
Pour la Suva, caisse nationale en cas d’accidents, «le coup de main occasionnel spontané donné à un ami ou à un parent doit clairement être distingué du travail fourni à un employeur contre salaire. Le premier cas ne concerne effectivement pas un rapport de travail, mais attention: selon sa durée et sa périodicité, il peut être assimilé à du travail au noir».