L’idée est a priori, séduisante: faire un don permanent à Pro Infirmis en économisant jusqu’à 25% sur sa facture de téléphone. Elle a été déposée dans toutes les boîtes aux lettres de Suisse et largement promotionnée à la télévision. Mais lorsque l’on cherche à comprendre qui paie quoi, force est de constater que le grand gagnant de cette opération, c’est surtout l’opérateur téléphonique Prime Line.
C’est avec Prime Line en effet que Pro Infirmis lance l’opération Swissduo, exemple à l’appui: au lieu de payer une facture téléphonique de 120 fr. auprès de Swisscom, vous ne paierez plus que 98 fr. à Swissduo, dont 10% (soit 9,80 fr.) seront ristournés à Pro Infirmis. Multiplions cet exemple par 12 mois et 10 000 clients: Pro Infirmis recevra presque 1,2 million de francs en un an. «Et sans que cela nous coûte un sou, précise Martin Streit, responsable de la communication.»
Il faut comparer
C’est vrai, mais comparons. Swissduo facture une minute de tarif interurbain 23 ct. et Prime Line 18 ct. à ses autres client. La comparaison est encore plus étonnante avec les tarifs pour la France, l’Allemagne ou les Etats-Unis: la minute à 56 ct. chez Swissduo coûte 39 ct. chez Prime Line.
Autrement dit (et calculé): par rapport aux tarifs pratiqués pour ses propres clients, Prime Line va effectivement donner 5,6 ct. (10% de 56 ct.) à Pro Infirmis par minute d’appel en France, mais encaisser un supplément de 11,4 ct. Un supplément qui
se monte, si l’on reprend l’exemple cité plus haut, à 2,3 millions de francs pour 10 000 clients (contre 1,2 million versé à Pro Infirmis)! Urs Kaeppeli, responsable marketing de Prime Line, ne conteste pas ce supplément, mais invoque les gros frais engendrés par cette opération.
Autant que ça? Pour répondre à notre question, Martin Streit a convoqué, le 1er avril, une réunion extraordinaire des deux parties. Il a reçu l’assurance que Prime Line réinvestira la totalité de ces suppléments dans une prolongation du projet Swissduo, peut-être avec d’autres associations caritatives, auquel pourraient être intégrés des personnes handicapées payées avec un salaire normal. «Il en va de notre crédibilité, insiste-t-il. Personne ne fera de l’argent sur le dos de Pro Infirmis.»
Intention louable, pour autant qu’elle se concrétise effectivement. Mais surtout, pourquoi n’en avoir pas clairement informé le futur client? En tant que consommateur, il doit en effet savoir que c’est lui, et non Prime Line, qui fait indirectement un don à Pro Infirmis. Et surtout qu’il finance aussi (toujours indirectement) un projet à long terme dont on ne sait encore pas grand-chose.
Nous soutenons d’autre part que, dans le marché très disputé de la téléphonie, Prime Line ne peut que tirer profit d’une telle opération. La publicité, également financée par le fameux supplément incriminé, donne en effet l’impression d’une société totalement engagée en faveur des handicapés, ce qui ne peut qu’améliorer son image de marque. Or, c’est bel et bien le consommateur qui s’engage totalement, mais sans vraiment le savoir...
Christian Chevrolet