Philippe Colombo est un moniteur de ski chanceux. Il y a trois ans, alors qu’il s’entraînait dans les Grisons où il professe, une des fixations Marker M48 Racing qu’il étrennait pour la première fois s’est cassée d’un coup en deux parties. Le ski détaché a alors rebondi et l’a profondément coupé au bas du visage. S’il avait tranché le cou quelques centimètres plus bas, c’était le drame. Le pire a donc été évité, mais la victime est quand même marquée d’une cicatrice d’une dizaine de centimètres qu’elle gardera sa vie durant.
Bien sûr, ses assurances ont pris les frais médicaux et l’incapacité de travail en charge. Et la maison Boom-Sports (Saint-Moritz), qui lui avait vendu la paire de fixations, lui a immédiatement remplacé le matériel défectueux, sur ordre de l’importateur, la maison Völkl, à Baar (SZ).
Philippe Colombo estime cependant avoir droit à une indemnité pour tort moral. Sa mère, Anne-Lise Colombo, est non seulement avocate, mais connaît spécialement bien la loi sur les responsabilités du fait des produits (LRFP), introduite en 1994. C’est donc elle qui demande officiellement à l’importateur une indemnité de 10 000 francs.
En fait, il s’agit là d’un raccourci. Car entre la première lettre de Mme Colombo et la fin de non-recevoir de l’assurance Winterthur, à qui la maison Völkl a transmis la gestion de l’affaire, il s’est passé deux ans et un important échange de courrier (14 lettres croisées!).
Excellent exemple
Si nous rapportons cette histoire, c’est qu’elle représente un excellent exemple d’une loi mise à disposition du consommateur pour défendre ses droits. La suite démontre toutefois qu’il le fera rarement sans l’aide d’un avocat! La LRFP est claire: si un objet est défectueux, peu importe qui en porte la responsabilité, la victime a le droit de se retourner contre l’une des personnes qui l’a mis en circulation.
En l’occurrence, à qui Philippe Colombo pouvait-il réclamer une indemnité? Au constructeur de la fixation bien sûr, mais aussi à son importateur et enfin au revendeur. Le plus logique et le plus juste serait certes d’attaquer le constructeur, mais les démarches juridiques ont des chemins suffisamment sinueux pour qu’il en aille autrement. Si Mme Colombo a finalement décidé de demander réparation à l’importateur, c’est parce qu’il est trop compliqué (et surtout trop coûteux) de faire une telle demande en Allemagne, pays d’origine de la fixation Marker. Mais aussi parce que c’est la maison Völkl qui a demandé au revendeur de lui faire parvenir la fixation défectueuse, s’appropriant du même coup un moyen de preuve.
Dans un premier temps, la Winterthur suggère que la victime s’adresse au dernier maillon de la chaîne, à savoir le magasin de sport ayant vendu la paire de fixations. Mme Colombo refuse et confirme sa demande auprès de l’importateur, comme elle en a également le droit.
Menace
Et c’est là que les choses se compliquent, puis se gâtent. Les juristes commencent en effet par croiser le fer sur la notion de «dommage» prévu dans la fameuse loi. L’assurance prétend qu’il n’inclut pas le tort moral, Mme Colombo si. Quelques courriers et 15 mois plus tard, la Winterthur envisage toutefois, pour la première fois, d’examiner le bien-fondé de la prétention en tort moral. Mais deux semaines plus tard, coup de théâtre: la compagnie met un terme – apparemment définitif – à cette affaire, son client (Völkl) contestant formellement toute responsabilité dans l’accident de Philippe Colombo.
Mme Colombo se fâche et menace dès lors de porter plainte pénale contre inconnu pour lésions corporelles par négligence. Du coup, la justice devra tenter d’établir qui est l’auteur de ces lésions, ce qui met la pression sur les protagonistes de l’affaire, qui en reste donc là pour l’instant.
Contacté par nos soins, André Bovard, membre de la direction de Winterthur, rappelle d’abord que dans le cadre d’une assurance RC privée, il n’y a pas de droit direct. Comprenez que la compagnie d’assurance ne peut être directement attaquée. La Winterthur est donc parfaitement en droit de se dégager du moment que son client fait la sourde oreille. Mais elle ne le fera pas: suite à notre intervention, elle va prochainement rencontrer son client pour tenter de trouver une solution.
La maison Völkl acceptera-t-elle d’entrer en matière? Interrogée à ce sujet, sa direction ne nous avait pas encore répondu à l’heure d’imprimer. L’histoire est cependant trop exemplaire pour que nous la concluions ainsi. C’est donc une nouvelle affaire à suivre.
Christian Chevrolet