Une chômeuse aussi a le droit d’allaiter
L’autorité vaudoise de recours en matière d’assurance chômage donne raison à une jeune mère qui avait été déclarée inapte au placement parce qu’elle allaitait son enfant.
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Bon à Savoir 08-1999
18.08.1999
Dernière mise à jour:
26.01.2023
Ellen Weigand
En décembre 1998, c’est sous le même titre (BàS 12/98) que nous dénoncions la mésaventure d’une jeune mère: l’ORP (Office régional de placement) de Morges avait déclaré Suzanne Vaudroz inapte au placement. Parce qu’elle avait refusé de cesser d’allaiter sa fille Marion et indiqué à des employeurs potentiels qu’elle allaitait. Elle n’avait donc plus droit aux allocations de l’assurance chômage. Et elle devait même rendre celles déjà perçues depuis la naissance ...
En décembre 1998, c’est sous le même titre (BàS 12/98) que nous dénoncions la mésaventure d’une jeune mère: l’ORP (Office régional de placement) de Morges avait déclaré Suzanne Vaudroz inapte au placement. Parce qu’elle avait refusé de cesser d’allaiter sa fille Marion et indiqué à des employeurs potentiels qu’elle allaitait. Elle n’avait donc plus droit aux allocations de l’assurance chômage. Et elle devait même rendre celles déjà perçues depuis la naissance de l’enfant.
Face à cette injustice, Mme Vaudroz avait déposé recours fin 1998. En juillet dernier, l’instance de recours du Service de l’emploi vaudois lui a donné raison: elle est déclarée apte au placement. Et cela dès la naissance de Marion. Car la loi sur le travail interdit de faire travailler une femme pendant les huit semaines suivant l’accouchement.
Aptitude prouvée
L’autorité de recours a suivi le principal argument de la jeune mère: elle avait prouvé son aptitude au placement en suivant un cours d’informatique à plein temps d’un mois tout en continuant à allaiter (elle tirait alors son lait).
Il a aussi été reconnu que même si Mme Vaudroz avait voulu allaiter directement sur son lieu du travail, cela n’aurait pas constitué une entrave importante, vu le domaine dans lequel elle cherchait un emploi (secrétaire, employée de bureau ou réceptionniste). Cela au vu, notamment, d’une décision du Tribunal fédéral des assurances (TFA). Il avait admis l’aptitude au placement d’une assurée qui voulait faire amener par un tiers son enfant sur son lieu de travail pour l’allaiter (arrêt du 3.10.95, C 44/95).
Directives vaudoises contraires à la loi
Cette décision contredit d’ailleurs les directives du Service de l’emploi vaudois. Elles stipulent en effet que le conseiller ORP doit demander à la mère «si elle est prête à renoncer à l’allaitement au profit d’un emploi convenable». En cas de refus, il faut nier l’aptitude au placement de l’assurée.
Pour Denise Flury-Poffet, juriste adjointe à la Division assurance chômage de l’OFDE (ex-OFIAMT), à qui Bon à Savoir a transmis ces directives, elles sont tout simplement «contraires au droit fédéral». L’OFDE interviendra donc auprès du canton de Vaud, afin qu’il les modifie. Bonne nouvelle pour les mamans au chômage!
«Un conseiller doit cependant s’enquérir des modalités d’allaitement en cas de reprise du travail (tirer son lait, s’absenter du lieu de travail), précise Mme Flury-Poffet. Ce n’est que si l’assurée n’envisage aucune solution rendant compatible allaitement et travail qu’elle doit être considérée comme inapte au placement», ajoute-t-elle.
Argument rejeté
C’est sur un seul point que Suzanne Vaudroz n’a pas été suivie. Elle avait invoqué le fait que la Loi fédérale sur le travail oblige un employeur à donner à une mère le temps nécessaire à l’allaitement. Argument rejeté par l’autorité de recours. Car un arrêt récent, non publié, du TFA
(arrêt B, 20.4.1999, C 257/98) stipule que ce droit ne s’applique qu’aux femmes qui ont un emploi. Une chômeuse ne peut donc pas invoquer ce droit pour prouver son aptitude au placement.
Inégales devant la loi
Isabelle Perrin, juriste et secrétaire syndicale à l’unia-FIPS, considère cette décision comme une «aberrante inégalité de traitement entre travailleurs en emploi et sans emploi. La plupart des chômeurs recherchent un emploi justement soumis à cette loi. Vu cette décision du TFA, la nouvelle accouchée aurait donc tout intérêt à dissimuler l’allaitement. Et à ne le révéler qu’une fois engagée, pour alors revendiquer ses droits définis par la loi».
Même si l’instance de recours n’a pas suivi Suzanne Vaudroz sur ce dernier point, la jeune mère est très satisfaite d’avoir obtenu gain de cause: «Cela prouve qu’il vaut la peine de se défendre.»
Ellen Weigand