«Il y en a marre», écrit Raymond Friedli pour résumer son long combat contre le vacarme qu’il subit près de vingt heures par jour. En 1979, ce lecteur, aujourd’hui jeune retraité, emménageait dans un petit immeuble à Fribourg, à côté du dépôt des Transports publics fribourgeois (TPF).
Supportable au début, ce voisinage est devenu invivable au fil des ans. Les bus, toujours plus bruyants, roulent toujours plus tard. De jour, les ouvriers s’affairent, portes ouvertes, à la maintenance des véhicules qui vont, viennent et font le plein du petit matin à minuit passé. Sans parler des voitures privées des chauffeurs qui arrivent à l’aube.
Valeurs dépassées
En 2004, le locataire excédé récolte, avec l’aide d’un voisin, 40 signatures pour alerter les autorités cantonales. Les mesures prises par le Service de protection de l’environnement sont éloquentes: après 22 heures, les valeurs limites fixées par l’ordonnance pour la protection contre le bruit (OPB)* vont au-delà de 7,8 dB (A), soit les décibels perçus par l’oreille humaine. Ce qui équivaut à des nuisances sonores deux fois supérieures au plafond autorisé.
Sur le plan légal, les riverains sont donc en droit d’exiger réparation. Mais, si les bus tournent toujours, force est de constater que le dossier n’a, lui, pas progressé d’un iota. C’est que le confort de quelques ménages ne fait pas le poids par rapport à la desserte d’une agglomération de 70 000 habitants.
«C’est une question de proportionnalité», reconnaît Pascal Aeby, secrétaire général de la Direction de l’aménagement, de l’environnement et des constructions (DAEC), l’autorité censée faire respecter les exigences de l’OPB. Les TPF sont une entreprise parapublique d’intérêt général. Comme ils ont manifesté leur volonté de déménager, il serait peu justifiable d’exiger des investissements coûteux pour diminuer les nuisances actuelles. Et il est difficile de trouver un terrain adéquat dans l’agglomération, ce qui explique que le dossier ait pris du temps.
Pas de dédommagement
Même son de cloche à l’Office fédéral de l’environnement (OFEV), chargé de veiller à ce que les cantons fassent leur devoir. En termes alambiqués, l’instance fédérale reconnaît à une entreprise «publique au bénéfice d’une concession» le droit d’outrepasser les valeurs limites, quitte à se dédouaner en faisant poser des fenêtres antibruit. Ce qui, dans le cas présent, a été fait, mais aux frais du propriétaire (lire encadré).
De leur côté, les TPF ont donné à leurs chauffeurs les instructions de rouler au pas et de ne plus laisser tourner inutilement les moteurs. Ils concentrent enfin leurs efforts sur la quête d’un nouveau site. «Une fois les études de faisabilité achevée, le dépôt pourrait être déplacé dans un avenir de trois à cinq ans», révèle Martial Messeiller, responsable de la communication. Et, si l’entreprise déplore les troubles occasionnés aux riverains, elle n’envisage pas de les dédommager pour autant.
En attendant, les porte-palettes à moteur, meuleuses et autres outils continuent leur vacarme sous les fenêtres de Raymond Friedli et de ses voisins.
Claire Houriet Rime
Bonus web:Valeurs limites d’exposition au bruit
DROIT DU BAIL
Hypothétique baisse de loyer
Le locataire d’un bien qui ne peut en jouir pleinement à cause d’un bruit excessif est en droit de demander une baisse de loyer, quitte à aller devant le Tribunal des baux s’il n’obtient pas satisfaction. Libre au propriétaire de se retourner ensuite contre l’auteur des nuisances pour rentrer dans ses frais. Si la démarche a de bonnes chances d’aboutir lors d’un chantier ponctuel (les travaux du M2, à Lausanne, par exemple), elle est plus délicate dans le cas présent.
«La procédure n’est pas gagnée d’avance», explique Valentin Aebischer, avocat conseil à l’Asloca Fribourg. Comme le dépôt existait déjà quand Raymond Friedli a emménagé, ce dernier devra prouver que le bruit a augmenté de façon exponentielle depuis lors. Et le juge fera, lui aussi, une pesée d’intérêts qui ne jouera pas forcément en sa faveur, surtout si les TPF présentent un projet concret de déménagement.
Dans le cas de notre lecteur, plutôt que de baisser un loyer déjà modeste (moins de 900 fr. pour un trois-pièces), le propriétaire a fait changer les fenêtres à ses frais en 2008. Sans même penser, à l’époque, à solliciter la participation des TPF.