Près de 1,8 million de personnes en Suisse utilisent la carte Cooprofit. Un autre million de ménages (environ deux millions de personnes) possèdent la carte M-Cumulus. Les distributeurs eux-mêmes ne s'attendaient pas à un tel engouement pour des rabais finalement très limités.
Avec la carte Cumulus, il faut en effet acheter pour 500 francs de marchandises avant de recevoir un bon de 5 francs, soit un rabais de 1%. Sans garantie, puisque Migros se réserve la possibilité de modifier le programme en tout temps ou de l'interrompre. Et qu’il n’a pas non plus précisé la nature exacte des offres spéciales qui seront faites aux titulaires.
Quant aux rabais proposés par Coop, s’ils atteignent parfois près de 50%, ils sont consentis sur des produits précis (p.ex. une marque de café particulière) ou des articles moins courants, comme une perceuse ou un radio-réveil.
Une adresse en or
«Pour les gens, tout rabais est bon à prendre, philosophe Odilo Guntern, préposé fédéral à la protection des données. Ils ne se rendent pas compte qu'ils donnent beaucoup pour rien.» Car ce faisant, les consommateurs offrent aux grands distributeurs un renseignement valant son pesant d’or: leur adresse. Les supermarchés peuvent donc leur envoyer de la publicité à domicile. Même si, chez les deux distributeurs, on peut refuser cette publicité (mais seuls 3% des clients de Migros l’ont fait).
Grâce aux données des 450 magasins équipés de caisses enregistreuses à lecture optique, Coop sait, par exemple, combien de fois une carte est présentée à la caisse. En revanche, il ignore qui s’en est servi, car le code-barre de toutes les cartes est identique. Tout comme sur les «justificatifs provisoires», à disposition dans tous les magasins, permettant aux clients de bénéficier d’offres spéciales (annoncées dans Coopération). Rien n'empêche donc – théoriquement – les clients méfiants de renoncer à une carte et de se servir ponctuellement de tels justificatifs.
Migros va encore plus loin. Pour l'instant, seul le montant total des achats est enregistré. Mais, chaque client disposant d'un numéro personnel, le distributeur pourra par exemple repérer les familles qui achètent des produits pour bébé et leur adresser une publicité ciblée. La carte deviendra ainsi un véritable mouchard, capable de décliner le contenu d’un cabas. Selon Stefan Frei, chef du projet, un tel marketing réellement ciblé devrait être mis en place fin 1998.
On peut dès lors se demander si ce marketing inquisiteur ne va pas trop loin. D'autant que des informations relatives aux autres personnes du ménage, à la date de naissance du signataire, etc., sont demandées sur le bulletin de commande, bien que facultatives.
Une chose est sûre: l'utilisation de ces données devra être conforme à la loi (lire l’encadré). «Nous serons vigilants», avertit Odilo Guntern, inquiet d’une manière plus générale «de la surveillance accrue de la vie privée de tout un chacun: entre les caméras vidéo qui vous filment dans les commerces, les caisses qui enregistrent l'heure des achats, l'utilisation de cartes de crédit ou de client, les sondages où l’on réclame de nombreuses données personnelles contre la promesse de petits prix, tout risque, à terme, de devenir contrôlable».
Sylvie Fischer
LOI FéDéRALE
Tout n’est pas permis...
Petit survol des droits que
la loi fédérale sur la protection des données (LPD)
vous donne.
• Consentement: pour que la récolte et le traitement de données concernant des personnes soient licites, il faut que ces dernières y aient consenti (art. 4, al. 1 et 12, al. 3 de la LPD). «Avant que le consommateur ne commande une carte, il doit donc être clairement informé, notamment sur la possibilité de renoncer à recevoir de la publicité, précise Odilo Guntern. S’agissant de la carte Cumulus, nous avons exigé que cette clause de consentement soit plus claire. Nous sommes aussi intervenus suite à une publicité télévisée qui ne parlait que des rabais offerts par l’opération et non du but de marketing visé.»
• Traitement proportionnel des données: même si un grand distributeur entend faire du marketing au moyen de ce genre d’informations personnelles, leur traitement devra se faire conformément au principe de proportionnalité (art. 4, al. 2 de la LPD). En clair, «si le distributeur peut atteindre son but publicitaire avec moins de données, il devra le faire».
• Droit de connaître et de corriger les données: les personnes qui font l’objet d’une collecte d’informations les concernant ont le droit d’«être sûres que ces données sont exactes. Elles peuvent aussi demander quelles données ont été utilisées». (art. 8). Et faire corriger
les données inexactes
(art. 5, al. 2).
• Droit à l’effacement des données: «Au bout d’un certain temps, ces mêmes personnes peuvent exiger que des données les concernant soient effacées» (art. 15, al. 1).