Françoise Perriraz est sceptique: il lui suffirait de répondre à une vingtaine de questions concernant son alimentation et son mode de vie pour recevoir des vitamines sur mesure? Et cela pour 69 fr. seulement la cure de deux mois?
En outre, Reader’s Digest, puisque c’est lui qui coordonne l’opération, garantit «que les réponses fournies ne seront transmises qu’à son partenaire SoVital, responsable de la production». Sur ce point, notre lectrice n’est pas seulement sceptique, mais franchement méfiante: les informations ainsi récoltées ne vont-elles pas alimenter des fichiers d’adresses?
Statut vitaminique
Pour en savoir plus, nous avons soumis la publicité à Mai Bui, directrice de l’Institut suisse des vitamines, qui se charge notamment de contrôler les produits mis en vente. Elle émet d’emblée de sérieux doutes sur la production de compléments vitaminiques dosés individuellement: «Fabriquer des vitamines n’est pas une chose facile. Pour un prix aussi bas, il est techniquement impossible de produire un dosage différent pour chaque client, estime-t-elle. D’autant que chaque préparation devrait alors faire l’objet d’un contrôle, pour vérifier qu’elle contient bel et bien les vitamines déclarées.»
Mais cette spécialiste critique surtout le questionnaire lui-même: «Il paraît très scientifique au premier abord, remarque-t-elle, mais il ne permet pas d’évaluer précisément quelles sont les carences.» En effet, les questions portent sur la fréquence à laquelle on mange tel ou tel aliment, mais elles omettent de demander les quantités réellement consommées: «Informations qu’un statut vitaminique digne de ce nom doit absolument intégrer», précise Mai Bui.
Dosages types
«Economiquement parlant, il est impossible de concevoir une préparation adaptée à chaque client, reconnaît Reader’s Digest. En réalité, SoVital travaille sur la base d’environ 130 dosages différents, qui répondent à la plupart des modes de vie définis grâce aux questionnaires. Notre démarche est une évaluation pragmatique des carences, sans pour autant renoncer aux exigences médicales et scientifiques.»
Des explications qui ne convainquent pas la directrice de l’Institut suisse des vitamines, pour qui «chaque situation est tellement particulière qu’il est difficile de faire des catégories».
Si l’on a un doute sur son état de santé, il est donc préférable de consulter un médecin. Lequel pourra éventuellement prescrire un complément vitaminique lors d’une carence avérée. Ce qui arrive plutôt rarement: «A part certaines couches de la population, notamment parmi les jeunes et les personnes âgées, peu de gens souffrent de carences nutritionnelles», remarque Jürg Lüthy, responsable du Service nutrition de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP).
De toute façon, il est préférable de corriger ses habitudes alimentaires, plutôt que d’avaler des pilules. En effet, les fruits et les légumes – dont on devrait manger au moins cinq portions par jour – contiennent d’autres substances qui jouent un rôle protecteur contre les maladies.
Enfin, notre lectrice n’est pas seule à suspecter une opération publicitaire derrière les questions de Reader’s Digest: «Certaines, concernant par exemple la consommation d’huiles pressées à froid, ne sont pas nécessaires dans le cadre d’un questionnaire alimentaire courant, relève Mai Bui. On dirait plutôt qu’elles servent à cibler le client.»
Fichiers d’adresses
L’éditeur s’en défend énergiquement: «Nous garantissons que les réponses seront utilisées uniquement pour établir le statut vitaminique des personnes concernées, écrit-il dans ses réponses à la rédaction. Un peu plus loin, il précise toutefois «que les informations recueillies dans le cadre de cette offre pourraient être utilisées lors de nouvelles activités de marketing direct, par exemple pour proposer des publications concernant le bien-être et la santé».
Sophie Reymondin
bref historique
Reader’s Digest diversifie son offre
Longtemps, le Reader’s Digest a figuré parmi les meilleures ventes, en Suisse comme à l’étranger. C’est en 1948 qu’il s’installe à Zurich, pour lancer la première édition suisse du magazine sous le nom de Das Beste, suivie bientôt par la version française Sélection.
La maison d’édition se spécialise rapidement dans le marketing direct et propose dès lors des ouvrages dans des domaines variés (géographie, voyages, habitat, jardin, histoire, médecine, etc.), tout comme des vidéos sur des thèmes éclectiques (nature, vie animale, santé, science, etc.), ou encore des disques de musique classique, française ou folklorique. Depuis peu Reader’s Digest propose également des produits pour la santé et le bien-être, tels les compléments vitaminiques de SoVital, mais aussi des produits financiers, notamment des assurances.
Une diversification qu’il faut peut-être mettre en parallèle avec la baisse du tirage de Sélection, qui est passé de 87 400 en 1993 à 61 800 en 2001, alors que le chiffre d’affaires est stabilisé à 60 millions de francs par année.