Depuis 2004, le bénéfice de La Poste n’est jamais descendu au-dessous des 720 millions de francs, avec un record de 910 millions l’an dernier. Et tout porte à croire que le millésime 2011 (généralement publié dans la deuxième quinzaine de mars) sera au moins aussi bon que celui de 2010. Si tel est le cas, le profit cumulé de ces huit dernières années atteindra presque 6,8 milliards de francs. Des résultats a priori réjouissants, mais qui choquent face aux tarifs exorbitants demandés pour certaines prestations (le prix des colis notamment) et le démantèlement constant du réseau des bureaux de poste.
L’explication est pourtant simple: le géant jaune applique à l’envi les règles édictées par la Confédération, qui exigent une gestion économique proche de n’importe quelle entreprise privée, tout en concédant un monopole national sur le transport des lettres de moins de 50 g. Autrement dit: gérer un service public en veillant à ce que les prestations ne soient pas déficitaires, et donc que l’exercice boucle avec un bénéfice conséquent, partiellement ristourné à son propriétaire, c’est-à-dire… la Confédération (lire encadré)!
Cette étrange contradiction s’est développée au fil d’un temps pas si lointain que cela. Dans un rapport clé*, le Conseil fédéral définit le service public comme «un service de base de qualité, défini selon des critères politiques, comprenant certains biens et prestations d’infrastructure, accessible à toutes les catégories de la population et offert dans toutes les régions du pays à des prix abordables, selon les mêmes principes». Mais, dans son message relatif à la modification de la loi fédérale ad hoc (2002), il annonce clairement la couleur: La Poste doit «pouvoir poursuivre l’optimisation de ses coûts» (…), afin de «garantir durablement son autonomie financière». D’entrée de jeu, l’exercice paraît périlleux…
D’autant que ce même Conseil fédéral assigne, tous les quatre ans, des objectifs stratégiques de plus en plus ambitieux. Les derniers en date (2010 à 2013) demandent non seulement que La Poste se prépare à la nouvelle loi (acceptée par le Parlement à la fin de 2010 et dont l’ordonnance d’application est actuellement en consultation), mais précisent aussi clairement que bénéfice il doit y avoir, ainsi que sa répartition (lire encadré).
Facile, ensuite, de tout expliquer… Un exemple: dès le 1er avril prochain, le tarif des prestations dites administratives (changement d’adresse, garde de courrier au bureau de poste, etc.) va faire le grand écart selon qu’elles sont demandées au guichet ou sur la toile. Ainsi, pour réexpédier son courrier durant deux semaines, il faudra payer 22 fr. sur place, contre 10 fr. par le biais d’internet. Habile: on réduit ainsi l’importance des offices (qu’on pourra ensuite fermer), tout en augmentant le tarif de l’opération, avec la bénédiction fédérale qui exige un équilibre des coûts!
Christian Chevrolet
*«Le service public dans le domaine des infrastructures».
Pour télécharger le tableau comparatif, se référer à l'encadré au-dessous de la photo.
DÉCRYPTAGE
Bénéfice pour la Confédération
A La Poste, il y a deux bénéfices. Le bénéfice «économique», fièrement annoncé chaque année, qui correspond au bénéfice consolidé du groupe et représentait 910 millions de francs en 2010. Mais sur le plan politique, on se fonde sur le bénéfice «juridique», issu des comptes revus et corrigés de La Poste Suisse seulement, en fonction du Code des obligations, lequel s’élevait, lui, à 603 millions en 2010 aussi. La différence (307 millions) se retrouve dans des écritures joliment appelées «réconciliation des résultats».
La répartition se fait à partir du bénéfice «juridique». En 2010, La Poste a consacré 303 millions à ses réserves, 100 millions au renflouement de sa caisse de pension et a versé le solde – 200 millions – à son propriétaire, la Confédération. Côté réserves, les besoins augmentent avec les années: estimées à 4,1 milliards en 2007, il faudrait pas moins de 10 milliards aujourd’hui, dont 4 pour la future PostFinance SA! La caisse de pension est en revanche bientôt à niveau. La ristourne fédérale pourrait donc être revue à la hausse, jusqu’à 50%, peut-on lire dans le même rapport de gestion datant de 2007.
Concrètement, cela signifie que les usagers de La Poste ont payé un impôt supplémentaire à la Confédération, vraisemblablement plus de 1 milliard de francs pour les cinq dernières années, et paieront plus encore dans celles à venir.