Répudier une succession n’est plus perçu comme une ultime insulte des héritiers à la mémoire du mort. Les difficultés économiques et, dans certains cantons, les factures de coûteux hébergements en maisons de retraite poussent de plus en plus de familles à refuser l’héritage d’un défunt, pour ne pas avoir à payer ses dettes.
Peu importe si la faillite de la succession est alors publiée dans la Feuille des avis officiels: rares sont les parents qui ressentent encore ce fait comme un «déshonneur pour le nom familial», et qui sont prêts à éponger les passifs de la succession pour l’éviter, constatent des juges de paix. De tels réflexes, s’ils subsistent dans de petites localités ou dans les campagnes, ont généralement disparu dans l’anonymat des villes.
Dans le canton de Vaud, 427 successions ont été répudiées sur 5489 en 1996, contre 415 sur 5498 en 1994. Et à Genève, l’an dernier également, on a requis 726 faillites pour 3322 décès: un indicateur assez stable depuis quelques années, mais dont la tendance est à la hausse.
Si les familles ne redou-tent plus de refuser un héritage, encore faut-il le faire dans les formes. Il arrive trop souvent que des héritiers se fassent piéger par un délai non respecté ou une mauvaise décision, constatent en chœur juristes et juges de paix.
Ne rien faire. «C’est frappant: beaucoup de personnes s’imaginent que si elles ne se manifestent pas, elles n’hériteront pas», constate un juriste du Centre social protestant. Ne rien faire est au contraire le plus sûr moyen de se voir attribuer la succession dont on ne veut pas!
Il faut agir vite: la loi donne trois mois aux héritiers pour répudier une succession (art. 567 CC). Sinon, elle considère qu’ils l’ont acceptée (art. 571 CC). Pour savoir si le défunt avait des dettes, une série de coups de fil à son tuteur (s’il en avait un), à l’office des poursuites et aux services sociaux s’impose, notamment pour savoir s’il existe des dettes d’hébergement en maison de retraite.
Craindre de tout perdre en refusant. Quand la situation n’est pas claire et qu’il risque de ne pas rester grand-chose, mieux vaut encore refuser d’être héritier. C’est un peu un oreiller de paresse, mais cela permet par exemple de ne pas avoir à débarrasser un appartement. Une vente aux enchères sera organisée pour payer les créanciers. S’il reste quelque argent, l’héritier y aura droit comme s’il n’avait pas refusé la succession (art. 573 CC). Il ne perd donc rien, sauf le droit de choisir, parmi les objets mis en vente, ceux qu’il aurait aimé garder. Si toutes les dettes sont payées, une nouvelle publication officielle réhabilitera la mémoire du défunt.
Tenter d’éviter l’impôt sur les successions. Plutôt généreux avec les parents directs du défunt (les enfants par exemple), l’État taxe assez lourdement les héritiers institués, désignés par testament et n’ayant aucun lien de parenté avec le mort. A Genève, par exemple, un héritier institué paiera jusqu’à 54,6% de droits de succession: cela peut lui inspirer de mauvaises idées, comme de refuser sa part, tout en suggérant au parent du défunt, moins imposé par la loi, de le remercier en lui versant une récompense généreuse. Ce petit jeu – un accord frau- duleux, fiscalement parlant – peut coûter cher: amende, voire transmission de l’affaire au procureur général si une sanction pénale s’impose.
Répudier pour que quelqu’un d’autre en profite. C’est une des erreurs classiques à éviter: on ne peut répudier une succession en faveur de quelqu’un. Si l’on refuse d’être héritier, on doit le faire sans conditions ni réserve. Une simple lettre suffit. Il n’est pas nécessaire de donner les raisons (vieille rancune ou crainte d’assumer des dettes) pour lesquelles on a décidé de répudier. Cela ne regarde que vous.
Cas fréquent: une personne a perdu son père, et souhaite répudier sa succession pour que sa mère, âgée, puisse profiter de tout l’héritage. «C’est un mauvais calcul, explique un juge de paix, car si celui qui répudie a des enfants, c’est à eux qu’ira sa part. Nous lui conseillons donc, dans un tel cas, d’accepter la succession, mais de laisser sa mère disposer de sa part, en n’oubliant pas d’en informer la commission d’impôt.»
Oublier les cousins des cousins. Au début du siècle, les familles nombreuses étaient fréquentes et il arrive encore que les juges de paix se trouvent confrontés à des successions comptant plus d’une trentaine d’héritiers. Lorsque la fortune du défunt est grevée de dettes (p.ex, immeuble chargé d’une importante hypothèque), tous devront répudier la succession. Sinon, l’héritier qui ne se sera pas manifesté écopera seul de ces charges!
Payer les amendes fiscales du défunt. Si c’est le défunt, cette fois, qui a essayé de frauder le fisc en soustrayant certaines sommes de son vivant, ses héritiers ne peuvent être condamnés à une amende. Ainsi en a décidé la Cour européenne des droits de l’homme le 29 août dernier. Il n’est donc plus possible, en Suisse, de faire supporter la faute du défunt à ceux qui lui succèdent: l’amende constituant une sanction pénale, et la responsabilité pénale s’étant éteinte avec la mort de celui qui fraudait le fisc, il serait contraire à la présomption d’innocence d’en faire payer le prix aux héritiers.
Négliger les signaux avertisseurs. Certaines successions exigent des précautions particulières: celles où le défunt possédait une petite entreprise, ou s’il était actif dans l’immobilier. En tel cas, il peut en effet avoir souscrit des engagements dans une société simple, qui le rend solidairement responsable des dettes de cette société. Or, ces engagements peuvent rester ignorés, n’étant pas inscrits dans un registre. Pour éviter les mauvaises surprises (vous acceptez la succession et découvrez trop tard qu’il existe une dette de 30000 francs), il faut l’accepter sous bénéfice d’inventaire (art. 580 CC). Les créanciers sont alors sommés de se faire connaître.
A ne faire toutefois que si l’on est prêt à avancer les quelques milliers de francs nécessaires (à la justice de paix et au notaire, ou au tribunal de district: cela varie selon les cantons). Attention: il faut le demander dans le délai d’un mois, ce qui est très court.
Sylvie Fischer
ASSISTANCE SOCIALE
EMS = naufrages patrimoniaux
A Genève, de nombreux héritiers sont amenés à répudier la succession de personnes placées en établissements médico-sociaux. Les coûts élevés de ces séjours, qui peuvent aller jusqu’à 296 francs par jour, impliquent qu’à la fin de leur vie, trois personnes sur quatre doivent avoir recours à l’assistance publique pour couvrir leurs frais d’hébergement. Les prestations complémentaires fédérales et cantonales ne suffisent en effet pas à couvrir de telles dépenses.
Or, au décès de ces personnes, les héritiers doivent rembourser le complément d’assistance de l’Etat. Même si l’Office cantonal des personnes âgées assure qu’elle ne leur réclame que l’actif net de la succession (6000 francs étant laissés aux héritiers), le système genevois est longtemps apparu comme particulièrement archaïque et peu généreux. La plupart des cantons subventionnent en effet leurs établissements médico-sociaux, ou ont relevé le plafond de leur aide financière. Dans le canton de Vaud par exemple, l’aide de l’État n’est ainsi pas remboursable, à moins que l’actif de la succession dépasse 25 000 francs.
Pour éviter les «naufrages patrimoniaux» qu’implique le système actuel, un projet de loi relatif aux établissements médico-sociaux vient d’être accepté par le Grand Conseil genevois. Il prévoit de subventionner les établissements pour diminuer le prix des séjours. Selon la direction de l’action sociale, ce système devrait permettre à 99% des personnes âgées de vivre en EMS au moyen des prestations complémentaires non remboursables. Prudents, les députés ont toutefois demandé que les effets de la loi soient évalués par une instance extérieure.
S. Fr