Sur le marché du tra-vail, le fait de porter
un nom exotique ou d’avoir plus de cinquante ans est déjà un handicap, estime Neglia Leroux-Balzani, directrice de la société de placement fixe et temporaire Workbee. Les entreprises cherchent des candidats jeunes, beaux, dynamiques, pas chers et très compétents.
Dans ce contexte, l’expérience de Jacqueline Favre ne surprend guère! Cette lectrice de Bon à Savoir est clouée sur un fauteuil roulant, suite à un accident survenu à l’étranger alors qu’elle travaillait comme déléguée au CICR. Et malgré ses compétences étendues (licence universitaire, diplôme de secrétariat, maîtrise de quatre langues, etc.), l’agence lausannoise de Workbee refuse son dossier: «Nous craignons la réaction de nos clients face à la candidature d’une personne handicapée», lui explique par téléphone une collaboratrice de l’agence. «Cette réponse est un peu carrée, reconnaît Veglia Leroux-Balzani, directrice de Workbee. Mais c’est une réalité: nos clients nous paient pour trier et cette candidate a très peu de chances d’être placée par notre intermédiaire».
Entreprises libres
Faut-il crier à la discrimination? Sur le plan humain, cela semble évident. Mais dans un état ultra-libéral comme la Suisse, les employeurs sont libres de trier les candidats comme ils l’entendent: «Il n’existe pas de base légale garantissant l’égalité de traitement des personnes handicapées», regrette Monique Richoz, directrice de Pro Infirmis Vaud (lire encadré).
Mieux informer
Et il reste un gros travail d’information à réaliser auprès des entreprises, qui souvent ignorent – c’était d’ailleurs le cas de Workbee – que l’AI prend en charge l’adaptation des postes de travail (bureaux, W.-C., accès au bâtiment, etc.). «Avant d’octroyer une rente, l’AI a, en effet, pour rôle d’aider les personnes victimes d’un handicap à s’insérer sur le marché du travail, explique Alain Porchet, directeur de l’Office AI pour le canton de Vaud. Notamment, en finançant une formation complémentaire ou en soutenant la personne dans ses recherches d’emploi».
Faciliter l’intégration
Selon son expérience, les entreprises feraient plutôt preuve d’esprit d’ouverture, du moins à l’égard de certains handicaps comme la paraplégie. «Mais les personnes souffrant d’une maladie psychique, par exemple, sont beaucoup plus difficiles à réinsérer», précise-t-il.
«Les entreprises ne sont pas seules en cause, remarque Philippe Ambühl, directeur de la Fondation Intégration pour tous (IPT) Vaud, qui – parfois subsidiairement à l’AI – favorise activement la réinsertion professionnelle des personnes victimes d’un handicap. Le cloisonnement des assurances sociales et les lenteurs administratives induites par l’instruction des dossiers freinent aussi l’intégration des personnes handicapées. Ces délais aggravent la situation de la personne sur le plan psychologique, et rendent encore plus difficile un retour sur le marché du travail.»
Sophie Reymondin
droits des handicapés
Vide juridique dans le domaine de l’emploi
Par l’intermédiaire de l’Assurance invalidité, l’Etat soutient financièrement les personnes handicapées et facilite leur intégration professionnelle. «Mais on commence à prendre conscience que ces personnes ont aussi des droits constitutionnels et qu’il faut adopter des lois spécifiques», remarque Caroline Klein, juriste déléguée à l’égalité pour la conférence des organisations faîtières de l’aide privée aux handicapés (DOK). Or, la législation actuelle dans ce domaine se limite à l’article 8 de la Constitution fédérale sur l’égalité: «Il ne peut être invoqué que dans les rapports entre l’Etat et l’individu. Pas dans un cas de discrimination survenu dans le secteur privé», précise Caroline Klein. Juridiquement, Jacqueline Favre ne peut donc rien entreprendre contre l’agence qui a refusé sa candidature à cause de son handicap.
Toutefois, une loi fédérale sur l’égalité des personnes handicapées devrait entrer en vigueur d’ici à 2003. «Mais elle ne prévoit aucune disposition dans le domaine de l’emploi, regrette Caroline Klein. C’est aberrant! D’autant plus que l’Union européenne vient justement de renforcer sa législation sur ce point.»
Autre lacune: la nouvelle loi prévoit que tous les bâtiments ouverts au public devront désormais être conçus pour accueillir les personnes à mobilité réduite. Mais elle ne s’applique pas aux anciennes constructions, dont nombre d’entre elles resteront difficiles, voire impossibles d’accès.