La problématique du roaming en Suisse ressemble un peu à la défunte série Dallas, avec ses bons, ses méchants, ses victimes et ses coups de théâtre. Dans le rôle des méchants, les opérateurs de téléphonie mobile qui, malgré quelques timides baisses de prix récentes, continuent de pratiquer des tarifs d’itinérance effrayants. Leurs victimes? Les consommateurs, pressés comme des citrons lorsqu’ils utilisent leur portable à l’étranger. L’héroïne de l’histoire se nomme Ursula Wyss. La conseillère nationale socialiste bernoise a déposé l’an passé une motion, calquée sur une pétition préalablement lancée par Bon à Savoir et ses partenaires alémaniques. Elle demande que le Conseil fédéral fixe des plafonds tarifaires aux opérateurs suisses, «que ce soit pour les appels entrants ou sortants, les SMS ou les transferts de fichiers depuis ou vers l’étranger», et cela en s’inspirant des prescriptions en vigueur dans l’UE.
Or, comme dans toute bonne série télé, il y a aussi des surprises. La dernière s’est produite à la fin du mois de juin 2012: une année après son dépôt, la motion Wyss a tout bonnement été suspendue par la Commission des transports et des télécommunications du Conseil des Etats (CTT-E). Une décision très décevante, dans le sens où l’on s’attendait à ce que la CTT-E donne enfin son préavis, indispensable pour que le Conseil des Etats puisse voter, et le dossier évoluer (lire encadré). «Sur le fond, tous les membres de la commission sont d’avis qu’il y a un problème avec le roaming en Suisse et que la situation ne peut pas continuer ainsi», se défend le socialiste jurassien Claude Hêche, président de la CTT-E.
Stratégie de la pression
Que s’est-il passé alors? La commission s’est basée sur le rapport complémentaire du Conseil fédéral concernant le marché des télécommunications. Ce document estime que des plafonds tarifaires ne peuvent être fixés en Suisse que si les opérateurs européens sont, eux aussi, soumis à des limites dans les tarifs d’itinérance qu’ils imposent à leurs homologues helvétiques. Or, le Conseil fédéral – hostile à la motion Wyss – estime que les entreprises suisses ne sont pas en position de force pour négocier et que «ces plafonds ne pourraient être judicieusement fixés qu’au travers d’un accord de la Confédération avec l’UE».
Claude Hêche et la CTT-E, tout comme les sept Sages, sont d’avis que, «une telle procédure serait longue et lourde». La commission a donc suspendu la motion et opté pour une autre stratégie: convoquer les trois grands opérateurs Swisscom, Sunrise et Orange en octobre afin de leur mettre la pression. Un choix dont l’efficacité reste pour l’heure difficile à évaluer. En juin, Carsten Schloter, CEO de Swisscom n’affirmait-il pas à la SonntagsZeitung «que le problème du roaming va bientôt se résoudre tout seul», puisque «des applications permettront aux clients se trouvant à l’étranger de téléphoner ou de surfer au tarif local dans deux à trois ans»? Quant aux autres opérateurs, ils entonnent en chœur que les prix élevés du roaming leur sont imposés par leurs homologues européens.
La CTT-E se contentera-t-elle de ce discours? Il est vrai que la motion Wyss peut être un certain moyen de pression. Suspendue pour l’heure, elle sera néanmoins soumise au vote du Conseil des Etats à la session d’hiver, assure Claude Hêche. Et la commission pourrait bien signifier aux opérateurs que son préavis, ou d’éventuelles modifications du contenu de la motion qu’elle est autorisée à proposer, dépend de leur attitude.
Sébastien Sautebin
SOUS LA LOUPE
Plus d’une année d’attente…
Notre magazine a maintes fois déploré la lenteur avec laquelle le dossier du roaming était traité politiquement. Déposée en juin 2011 et directement inspirée d’une pétition munie de 55 860 signatures que Bon à Savoir a remise à Doris Leuthard, la motion Wyss a été acceptée par le Conseil national en septembre 2011 (181 voix contre 5!), quand bien même le Conseil fédéral proposait son rejet.
Elle a ensuite été transmise à la Commission des transports et des télécommunications du Conseil des Etats (CTT-E) pour préavis. Alors qu’il y avait urgence pour le portemonnaie des consommateurs, la CTT-E a, dans un premier temps, décidé d’attendre la parution d’un rapport complémentaire du Conseil fédéral sur le marché des télécommunications, qui n’a été remis qu’à la fin de mars 2012. Privilégiant d’autres dossiers, elle n’a pas pu se prononcer avant la session parlementaire d’été. La réunion, prévue à la fin de juin, devait lui permettre de définir enfin sa prise de position pour que le Conseil des Etats vote la motion à la session d’automne… Les consommateurs attendront jusqu’à l’hiver, à condition que rien ne vienne encore bouleverser ce calendrier.