L’espérance de vie ne cesse d’augmenter et il faut bien financer cette augmentation
de la durée des rentes…
C’est juste, et c’est pour cela que nous n’avons pas réagi à la première baisse en 2003, laquelle fait passer le taux de conversion de 7,2 à 6,8% entre 2005 et 2014. Mais, à moins de se montrer abusivement alarmiste, rien ne permet d’affirmer – aujourd’hui, en 2010 – qu’une deuxième diminution est nécessaire à cette fin.
Les institutions de prévoyance travaillent presque toutes avec l’une des cinq grandes tables de mortalité suisse pour déterminer l’augmentation de l’espérance de vie dans le futur. Le Conseil fédéral a intentionnellement retenu celle nommée VZ 2005 pour tenter de nous faire croire à l’urgence, puisque c’est elle qui affiche les durées de vie les plus longues. Il a cependant omis de préciser qu’elle se fonde sur les données de 15 caisses publiques, dont on sait qu’elles assurent très majoritairement des personnes dont l’espérance de vie après la retraite est supérieure à la moyenne.
Les disparités d’espérance de vie spécifiques à la profession sont en effet énormes, allant jusqu’à dix ans. Ainsi, une personne qui passe sa vie à construire ou à réparer des routes, ou un poseur de revêtement de sols, vivront en moyenne une retraite 2,5 fois inférieure à celle d’un médecin. Ou encore un mécanicien a lui aussi un risque de mortalité supérieur à celui d’un enseignant, qui vit sensiblement plus longtemps que la moyenne. Il n’est donc pas honnête de s’appuyer sur la table VZ 2005 uniquement pour tenter de justifier la nouvelle loi (lire page 19)!
Mais pourquoi ne pas appliquer le principe de précaution, et accepter cette baisse,
quitte à remonter le taux de conversion plus tard quand tout ira mieux?
Parce que, contrairement à ce que certains tentent de nous faire croire, il est impossible de revenir en arrière! Comment pourrait-on, en effet, expliquer à des assurés qu’ils ont une rente diminuée uniquement parce qu’ils sont arrivés à la retraite à un mauvais moment, alors que ceux qui ont eu la chance de la prendre après eux – mais qui auront, partiellement du moins, cotisé en même temps qu’eux! – toucheront bien plus? Le 2e pilier n’est pas une loterie! Donc, comme il n’y a pas péril en la demeure, il convient de prendre le temps et d’attendre jusqu’en 2013 pour refaire le point.
La Bourse est devenue instable et il faut nécessairement réduire les rentes au risque de voir tout le système s’effondrer…
C’est juste aussi. Nous venons de vivre la décennie la plus difficile de la Bourse, même si elle a déjà comblé 50% des pertes de 2008, comme elle l’a fait (entièrement) entre 2003 et 2007 après la première crise de ce siècle. Il s’agit donc, ici encore, de ne faire preuve ni d’alarmisme ni d’angélisme. Il n’y a aucune raison – aujourd’hui, en 2010 – de décider que le marché ne se redressera plus jamais, alors qu’il est précisément à la hausse, et donc de décapiter les rentes.
Un assuré cotise pour sa prévoyance professionnelle durant quarante ans et ne retirera pas son capital avant la retraite. Les institutions de prévoyance n’ont donc pas les mêmes contraintes que pour des placements ordinaires. Autrement dit: les pertes subies durant les crises que nous avons vécues sont certes importantes, mais elles sont théoriques, puisqu’il reste beaucoup, beaucoup de temps pour les compenser. Or, c’est exactement ce qui est en train de se passer, quoi qu’on en dise. Et, si la situation se détériore de nouveau, il sera toujours temps, en 2013 (le taux de conversion doit légalement être revu tous les cinq ans), de décider d’une éventuelle baisse, cette fois justifiée.
Au cas où le référendum passe, les milieux économiques laissent entendre que tout le système pourrait s’effondrer et que les rentes des personnes d’ores et déjà à la retraite pourraient être revues à la baisse. Est-ce réellement possible?
Rien n’est impossible, mais tout doit se faire selon la loi! Or, en l’état, la loi interdit de baisser les rentes d’ores et déjà allouées. Et le référendum du 7 mars le prouve: il est toujours possible de demander au peuple de se prononcer sur une modification qui ne se justifie pas. Il est vraisemblable qu’il en irait ainsi si une telle décision devait être prise.
Les partisans jouent, une fois encore, la carte de l’alarmisme pour tenter de monter la génération active contre l’autre (les actuels retraités contre les jeunes actifs). En Promettant feu et cendres, ils espèrent amoindrir l’esprit de solidarité des rentiers et les pousser à voter pour une baisse qui ne changera rien à leurs revenus, en faisant croire que, à tort, ils devront passer à la caisse si cette deuxième baisse est refusée.
Les institutions prétendent que le taux de rendement du capital doit aujourd’hui être inférieur à celui des obligations suisses, et donc que celui retenu par la Confédération est encore trop haut.
Chaque année, le Conseil fédéral fixe le taux minimal que les institutions doivent servir sur le capital accumulé par leurs assurés. Il le fait en tenant compte de la situation du marché, ce qui explique qu’il soit aujourd’hui au plus bas, soit 2%, après avoir été longtemps à 4% (pour plus d’infos, lire p. 18).
Mais nous le répétons: le capital s’amplifie quarante années durant entre les mains des gestionnaires, qui ont donc toute amplitude pour corriger les crises comme nous venons de vivre. Voilà pourquoi, pour le financement des rentes, le Conseil fédéral s’est fondé sur un rendement espéré de 4,3% en moyenne, donc un taux d’intérêt technique de 3,8% pour les rentes.
Ce taux est parfaitement réaliste, quoi qu’en disent certaines institutions. En 2008, alors que la Bourse était au plus bas, un portefeuille moyen contenait en effet 40% d’obligations, 27% d’actions, 20% d’immobilier, et le solde dans d’autre actifs (source: Swisscanto, 2009). Or, depuis l’entrée en vigueur officielle du 2e pilier et la fin de 2008, le rendement historique des obligations était de 4,6%, celui des actions de 8,9% et celui de l’immobilier de 6,6%.
Le calcul est évidemment fort différent si, comme le font les partisans de la baisse, on ne remonte que huit ans en arrière, et donc aux pires années que l’économie ait vécues. Mais cela tient au mieux d’une crise de pessimisme qui tombe à pic, au pire d’une certaine malhonnêteté…
En cas d’inflation, plausible aujourd’hui, la valeur du portefeuille obligataire va baisser, diminuant d’autant les revenus des caisses de pension qui ne pourront plus faire face à leurs engagements.
C’est vrai: les obligations perdent de leur intérêt en cas d’inflation. Mais il est tout aussi vrai que, en pareil cas, tous les autres taux montent et permettent de compenser, au moins partiellement, la perte ainsi enregistrée. Les caisses de pension ont donc, chacune, préparé un plan allant dans ce sens, fondé notamment sur une surpondération provisoire des actions, des investissements en matières premières et la diminution de la durée des portefeuilles obligataires.
Ce mouvement va par ailleurs inciter certains assurés à retirer l’entier, ou une plus grande partie de leur capital, plutôt que de demander une rente, puisque les taux du marché seront alors nettement plus intéressants que le taux technique servi dans le cadre du 2e pilier. Ce faisant, ils libèrent les caisse de pension du risque de longévité en le supportant eux-mêmes!
Enfin, il faut savoir que les caisses ne sont, le plus souvent, pas obligées d’indexer les rentes en cours. Elles ne le feront donc pas, ou très partiellement, surtout si elles n’ont pas atteint le niveau optimal de réserves contre les risques financiers. Elles vont dès lors implicitement améliorer leur situation financière, grâce aux rentiers qui, eux, verront leur pouvoir d’achat diminuer. En effet, en admettant une inflation annuelle moyenne de 2%, une rente non indexée perd 16,3% de son pouvoir d’achat après dix ans, 24,2% après quinze ans et 31,4% après vingt ans!
Il semblerait que l’objectif de toucher, à sa retraite, au moins 60% de son dernier salaire, sera maintenu malgré une diminution de 11% des rentes. Comment est-ce possible?
Par un tour de passe-passe théorique surprenant. Avec un taux de conversion de 7,2%, la participation du 2e pilier était de 38% du salaire obligatoirement assuré (max. 82 080 fr.), le solde étant assuré par l’AVS (lire page 18). Avec un taux de conversion de 6,8%, elle tombe à 36%, mais à 34% avec un taux de 6,4%.
La première diminution de 7,2% à 6,8% a toutefois été partiellement compensée par l’élargissement du salaire assuré. Rien de tel pour la deuxième baisse! Ses partisans sont donc revenus sur le raisonnement qui veut que, pour atteindre l’objectif de 38%, le taux technique doit être égal à l’augmentation des salaires.
Or, si l’on se réfère à la période allant de 1985 à aujourd’hui, on s’aperçoit que les salaires nominaux n’ont augmenté que de 2,29%, alors que le taux d’intérêt minimal a été de 3,87%, ce qui donne une différence de 1,58%, que l’on peut considérer comme le taux d’intérêt réel. Grâce à lui, on peut donc estimer que le 2e pilier représentera toujours 37,5% et non 34% du dernier salaire. CQFD.
Sauf que les partisans de la baisse font tout d’un coup preuve d’optimisre en s’appuyant sur une fluctuation historique, alors qu’ils ne veulent retenir que les huit dernières années lorsqu’il s’agit de fixer le taux de rémunération des rentes…
En l’occurrence, si nous considérons la période allant de 2000 à 2008, les salaires nominaux ont augmenté de 1,48% en moyenne annuelle, mais le taux d’intérêt minimal a été de 2,64%, ce qui ramène le taux d’intérêt réel à 1,16%. Lequel doit encore être revu à la baisse, puisque le taux minimal n’est que de 2% depuis 2009!
Christian Chevrolet