«Si vous n’êtes pas entièrement satisfait d’un produit comestible, vous pouvez le rapporter à n’importe quel moment.» Les enseignes d’ameublement et d’électroménager ne sont pas les seules à brandir l’argument du «satisfait ou remboursé». Les supermarchés aussi. Certains le font savoir par des slogans bien visibles sur les tickets de caisse ou des panneaux, stratégiquement positionnés dans les magasins. D’autres, plus discrets, se contentent d’une mention sur leur site internet.
J’aime pas le goût…
Mais jusqu’où les commerces d’alimentation sont-ils prêts à aller pour bichonner leurs clients et éviter qu’ils ne passent à la concurrence? Assez loin visiblement. Dans les magasins que nous avons interrogés et qui proposent clairement la garantie «satisfait ou remboursé», les gérants et les employés sont informés de l’existence de cette garantie, voire spécialement formés par l’intermédiaire de workshops ou de jeux de rôles. Magnifique! Mais ces mêmes magasins acceptent-ils qu’on leur ramène un produit alimentaire sans défaut simplement parce qu’il n’est pas au goût du consommateur?
Pour le savoir, nous avons tenté l’exercice avec nos confrères de l’émission On en parle (RTS, La Première). Nous avons donc choisi des magasins affichant clairement la garantie «satisfait ou remboursé», soit Manor, Lidl, Aldi, Denner, Coop. Nous avons également inclus Migros, dans notre sélection. Le géant orange ne propose pas explicitement ce service, mais nous avons tout de même décidé de le mettre à l’épreuve. Pour ce faire, nous nous sommes rendus dans vingt-quatre magasins au total, quatre par enseigne et avons acheté un seul produit par commerce: une pizza, un yogourt au chocolat, un dentifrice ou une bouteille de champagne. Nous les avons ensuite rapportés le lendemain sous prétexte que le goût ne nous convenait pas (lire encadré).
Pas satisfait?
Au final, seuls quatre commerces n’ont pas accédé à notre demande (voir tableau). Lidl n’a pas repris le yogourt et la pizza. Les explications avancées ont toutefois divergé: dans le premier magasin, l’employée nous a indiqué que cette garantie ne s’applique qu’aux produits non alimentaires. Autre son de cloche dans la deuxième succursale: les articles ne sont repris que s’ils sont périmés ou qu’ils présentent un défaut de qualité. «Cela ne marche pas si vous n’avez pas aimé le goût », nous a aimablement répondu la caissière, visiblement très amusée par notre demande.
Le dentifrice n’a pas passé la rampe chez Manor. Motif invoqué: les articles déjà ouverts ne sont pas repris. Idem à Migros où, très sûre d’elle, la responsable du rayon cosmétiques a encore ajouté «qu’il existe des directives européennes très strictes à ce sujet». Interpellés, Manor et Lidl précisent qu’il s’agit d’un malentendu. Le hard discounter s’est également engagé à «former encore une fois les collaborateurs sur ce sujet». Migros, en revanche, explique qu’elle ne reprend que les produits si le client s’est trompé lors de l’achat ou que ceux-ci ont un défaut de qualité ou qu’ils sont périmés.
Remboursé!
Partout ailleurs, notre requête a été exaucée avec plus ou moins de facilité. Huit magasins sur vingt-quatre ont joué le jeu sans rechigner et sans même exiger le ticket de caisse. Dans six autres cas, nous avons dû présenter ce même ticket, mais le remboursement nous a été accordé sans plus de questions. Chez Manor toutefois, la vendeuse nous a précisé que la pizza était remboursée à titre exceptionnel seulement. «Cette garantie ne s’applique pas aux produits dont le client n’a pas aimé le goût», nous a-t-on aimablement répondu. A six reprises enfin, nous avons dû avancer l’argument «satisfait ou remboursé» pour parvenir à nos fins.
Pas toujours avec le sourire
Notre démarche n’a pas toujours été du goût de tout le monde. Au mieux, elle a créé l’étonnement. Au pire, elle nous a donné l’impression d’être devant un peloton d’exécution. Difficile, en effet, de supporter le regard de dizaines de clients atterrés par notre comportement. Certains vendeurs nous ont également fait part de leur désapprobation. Un employé de Denner nous a fait comprendre qu’il n’est pas de bon ton de se plaindre du goût d’une pizza qui ne coûte que 2.70 fr. Un peu excédée, la gérante d’un magasin Lidl nous a rappelé qu’il est un peu exagéré de boire la moitié d’une bouteille de champagne quand on n’aime pas son goût!
Globalement, les supermarchés ont donc tenu leur promesse. Certes, la nouvelle peut paraître réjouissante pour le consommateur. Pourtant, sous couvert d’un service rendu à l’acheteur, les magasins n’encouragent-ils pas le gaspillage de nourriture? Tous s’en défendent. Selon eux, il est extrêmement rare qu’un client ramène un article juste par ce qu’il n’en a pas aimé le goût. «Ce genre de demandes concerne en règle générale les rayons des produits non alimentaires», précise Manor. «De ce fait et comme il s’agit d’un service rendu aux clients, nous nous refusons catégoriquement à parler de gaspillage», poursuit encore Elle Steinbrecher, son porte-parole.
«Les clients ont très bien compris le principe du «satisfait ou remboursé» et n’en abusent pas», indique, de son côté, Aldi. Et c’est tant mieux! Cette garantie, discutable en elle-même, mais visiblement dictée par les règles de la concurrence, ne doit pas nous encourager à gaspiller plus de nourriture que nous ne le faisons déjà: chaque année, un ménage helvète de quatre personnes dépense quel que 2000 fr. pour des aliments qui finissent à la poubelle!
Chantal Guyon
Pour télécharger le tableau comparatif, se référer à l'encadré au-dessous de la photo.
EN DÉTAIL
Le déroulement du test
Après avoir acheté les différents produits, nous avons délesté chaque yogourt et chaque tube de dentifrice de deux cuillerées pour l’un et de l’équivalent d’un brossage de dents pour l’autre. La pizza, préalablement cuite, a été amputée d’une tranche. Quant à la bouteille de champagne, nous avons poussé le bouchon un peu plus loin et en avons vidé la moitié.
Les jours suivants, nous avons rapporté les produits entamés, là où nous les avions achetés. Nous nous sommes rendus directement à la caisse et avons demandé à être remboursés, en indiquant simplement que nous n’avions pas aimé le goût. Pour ne pas fausser les réactions, nous n’avons jamais laissé sous-entendre qu’il pouvait avoir un quelconque défaut de qualité ou qu’il était avarié. Nous nous sommes présentés sans le ticket de caisse et l’avons montré uniquement lorsque le vendeur se faisait pressant. En cas de refus, nous avons alors insisté en indiquant que le magasin propose l’engagement du «satisfait ou remboursé» sur son site internet.