Petits marabouts et grosses ficelles
Voici déjà plusieurs années que les prétendus «marabouts» africains font maigrir le portefeuille des clients trop crédules. Difficile de les contrer sur le terrain de la loi.
Sommaire
Bon à Savoir 01-2000
19.01.2000
Blaise Guignard
Vous voulez séduire sans effort? Gagner au loto? Monsieur Mandiou, Grand Marabout Médium, vous y aidera. Glissée dans votre boîte aux lettres, sa carte de visite vous garantit des résultats «à 100%». Un coup de fil sur son portable, un rendez-vous au Buffet de la Gare, et le mage africain vous concoctera l’ordonnance occulte adaptée à votre problème. Le prix varie entre quelques centaines et plusieurs dizaines de milliers de francs.
Chaque année, des dizaines de personnes s...
Vous voulez séduire sans effort? Gagner au loto? Monsieur Mandiou, Grand Marabout Médium, vous y aidera. Glissée dans votre boîte aux lettres, sa carte de visite vous garantit des résultats «à 100%». Un coup de fil sur son portable, un rendez-vous au Buffet de la Gare, et le mage africain vous concoctera l’ordonnance occulte adaptée à votre problème. Le prix varie entre quelques centaines et plusieurs dizaines de milliers de francs.
Chaque année, des dizaines de personnes se
font plumer par de soi-
disant marabouts comme M. Mandiou. Peu d’entre elles portent plainte. La plupart des victimes digèrent leur honte en silence.
n Sentiers sinueux
De fait, la loi protège peu les gens de leur crédulité. «Le législateur entend responsabiliser les gens», commente Antoine Landry, substitut du Procureur général du canton de Vaud. Conséquence: plus grosse est la ficelle, moins
la duperie risque de tomber sous le coup de la loi.
Car le Code pénal n’interdit pas expressément la voyance contre rémunération. Pour punir les charlatans, il faut emprunter les chemins détournés que sont
les articles réprimant l’escroquerie (art. 146 CP) et l’usure (art. 157 CP). Détournés et peu sûrs: les tribunaux n’admettent l’escroquerie qu’à certaines conditions. On exige notamment de la tromperie qu’elle soit «astucieuse», c’est-à-dire que la victime n’ait aucun moyen de la déjouer. Retour de fortune, séduction irrésistible: rien d’astucieux,
au sens de la loi, dans ces promesses énormes des
marabouts.
Plus souvent invoquée, l’usure n’est pourtant guère plus évidente: le marabout doit avoir consciemment exploité un état de faiblesse particulière de la victime, pour un prix sans proportion avec la prestation qu’il fournit. «A ma connaissance, seul l’âge, très jeune
ou au contraire avancé, a
été jusqu’ici retenu comme «état de faiblesse» par les tri-
bunaux», précise Antoine Landry. Et la preuve d’une exploitation consciente de cette faiblesse repose souvent sur la seule déposition de la victime. Même problème lorsqu’il s’agit de démontrer que la prestation ne vaut pas son prix: facile pour une potion magique, plus aléatoire pour une intercession auprès des esprits…
n Plumeur volatil
A supposer que l’abus ait pu être établi, restera à pincer le coupable, vivant le plus souvent en France voisine et que n’identifient qu’un pseudonyme ronflant et un numéro de téléphone mobile.
Alors, les esprits crédules sont-ils
livrés sans
garde-fou à leur naïveté? «La no-
tion
de faiblesse retenue par les tribunaux devrait être élargie au deuil, à la maladie ou à la dépression, voire à une déception amoureuse, bref, à toute circonstance de nature à diminuer la capacité de jugement», estime M. Landry.
L’évolution émousserait donc quelque peu la sévérité du législateur. «Le Code pénal ne veut pas protéger, sous prétexte d’usure, n’importe quel naïf qui s’est fait tondre», commentait il y a bientôt soixante ans le pénaliste Logoz. On le cite encore dans les prétoires.
Blaise Guignard