Il est établi depuis plus de vingt ans que la consommation de pamplemousse peut entraîner des effets secondaires graves chez les personnes qui suivent certaines médications par voie orale (comprimés, gélules, sirops, gouttes). Découverte en 1989 par David Bailey, pharmacologue au Lawson Health Research Institute à London (Ontario, Canada), la réalité de ce risque a été étayée, depuis, par une série d’études.
Pourtant, elle est encore très peu présente dans l’esprit du public et d’une partie du corps médical, tant le pamplemousse jouit d’une image positive de «bombe santé». Autre difficulté: le problème ne concerne pas une classe particulière de médicaments, mais des principes actifs très différents – médicaments contre le cholestérol, traitements des maladies cardiovasculaires, anticancéreux, immunosuppresseurs, anti-infectieux, etc.
Médicament dégradé
Si le pamplemousse représente un danger pour certains patients sous traitement, c’est parce qu’il a la capacité de modifier ce qu’on appelle le «métabolisme du médicament». Dans notre organisme, les médicaments que nous avalons sont en effet éliminés et transformés par des enzymes, dont une en particulier (nom de code CYP3A4), présente au niveau de l’intestin grêle et du côlon ainsi que dans les cellules du foie. Le médicament est donc dégradé successivement à ces différents «postes» et seul un certain pourcentage du principe actif atteint encore la circulation sanguine. Ce pourcentage est ce qu’on appelle la «biodisponibilité d’un médicament».
Or, certaines substances chimiques présentes dans le pamplemousse (furanocoumarines) ont le pouvoir de bloquer l’action de cette enzyme et la dose qui atteint la circulation sanguine est alors beaucoup plus élevée que prévu. Il en résulte une overdose, le médicament devient toxique.
Ce problème concerne d’ailleurs le pamplemousse sous toutes ses formes (consommé entier, jus pressé frais ou à base de concentré, congelé, cuit, etc.), mais aussi les oranges amères, les pomélos ou les limettes. Les oranges douces (Navel, Valence), en revanche, ne présentent pas ce risque, car elles n’ont pas de furanocoumarines.
Même à faible dose
Enfin, il faut savoir qu’un pamplemousse entier ou 250 ml de jus suffisent pour provoquer un effet indésirable et que, même s’il n’est consommé qu’une fois par jour, l’agrume agit suffisamment longtemps pour modifier la concentration dans le sang d’un médicament qu’on prend quotidiennement. L’âge des patients joue aussi un rôle: dès 45 ans, le risque est plus élevé.
Mais comment savoir si un médicament est «problématique»? Les substances actives concernées ont trois points communs: elles sont toutes administrées par voie orale, leur biodisponibilité est faible à moyenne et elles sont métabolisées par la CYP3A4. Récemment, David Bailey et son équipe ont actualisé, dans un article scientifique(1), l’état des connaissances.
Liste établie par «Bon à Savoir»
«Les autorités homologuent toujours plus de médicaments qui présentent un risque en interaction avec le pamplemousse, environ six de plus chaque année», observe David Bailey. Il est donc indispensable de sensibiliser les professionnels de la santé ainsi que les patients. Raison pour laquelle, Bon à Savoir a repris la liste des principes actifs concernés, établie par les chercheurs canadiens, et l’a confrontée aux substances vendues en Suisse. Cette recherche a permis d’établir un tableau complet qui indique les noms sous lesquels les substances qui présentent le plus de risques d’interaction sont commercialisées. Ce tableau peut être téléchargé sur www.bonasavoir.ch –> Bonus web (*) ou sur demande au 021 310 01 36.
Et que faire si l’on prend l’un de ces traitements? «Surtout ne pas l’interrompre, même si le médicament en question figure sur cette liste, car stopper une médication de son propre chef peut aussi mettre la santé en danger, répond le professeur Thierry Buclin, chef de la Division de pharmacologie clinique du CHUV, à Lausanne. Dans le doute, c’est au pamplemousse qu’il faut renoncer et, surtout, clarifier la question avec son médecin, en lui signalant tout effet indésirable.»
Catherine Riva
(1)Bailey DG, Dresser G, Arnold JMA. «Grapefruit and medication interactions: forbidden fruit or avoidable consequences?» CMAJ 2012.
*Bonus web:gare au pamplemousse!