La maladie, la mort, la douleur d’une mère, mais aussi la publicité ambiguë, la justice n’en a cure. Le règlement, les délais et les méandres d’arrêts poussiéreux semblent visiblement plus importants. Le combat de Marylène Tintori n’a donc servi à rien. Non seulement elle a payé à tort des traites pour le petit crédit contracté par son fils décédé, mais en plus elle se retrouve avec quelques milliers de francs supplémentaires à régler pour les frais de justice. Pourtant, sa cause est juste et concerne tous les consommateurs.
Le dépliant publicitaire imprimé par la banque Migros au début des années nonante était en effet rassurant: «Notre crédit privé n’est pas une aventure, y lisait-on. Nous vous assurons la sécurité. Ainsi, lors d’événements imprévisibles (accident, maladie, infirmité), la banque Migros assure les mensualités et vous libère même du solde en cas de décès». Mais les petites lettres du contrat, celles qu’on accepte – souvent et malheureusement – en les lisant en diagonale seulement, étaient nettement plus restrictives: «Le droit à la libération pour solde de dette ou de mensualité devient caduc lorsque l’emprunteur ne fait parvenir à la banque aucune communication au plus tard 10 jours après le délai d’attente (réd.: 30 jours), ou est en retard d’une échéance» (art. 6 du règlement valable en 1990). Autrement dit: mieux vaut ne pas tomber dans le coma ou être atteint d’une maladie empêchant l’assuré d’agir!
L’honnêteté ne paie pas
Or, c’est précisément ce qui est arrivé à Marc-Henri Kocher, le fils de Marylène Tintori. Il contracte, en janvier 1990, un crédit privé de 25 000 fr. auprès de la banque Migros, à rembourser en 48 mensualités. Deux ans plus tard, il est atteint d’une maladie engendrant des atteintes neurologiques graves. Il le sait, mais le garde pour lui et refuse de baisser les bras. Il continue donc de régler ses traites, honnêtement, régulièrement.
Pourtant, en novembre 1992, son état de santé se détériore et il doit cesser de travailler. Depuis cette date, ses paiements deviennent irréguliers. Il doit même, à plusieurs reprises, emprunter à sa mère, sans lui préciser pourquoi. Mais ce n’est qu’un sursis: en juin 1993, il ne peut plus gérer ses affaires et Mme Tintori prend le relais.
On paie d’abord
Ce faisant, elle découvre un rappel de la banque Migros et apprend du même coup que son fils avait contracté un petit crédit. Elle prend immédiatement contact avec la banque pour lui demander de suspendre les primes, mais se voit répondre que ce ne sera possible qu’en réglant deux arriérés, comme le stipulent les conditions générales. Autrement dit: payez les rappels (env. 1200 fr.), puis nous libérerons votre fils des paiements, mais à bien plaire. Ce qui fut fait, par Mme Tintori, trop préoccupée pour contester quoi que ce soit sur le moment, et par la banque, qui libéra alors son client de ses obligations. Marc-Henri Kocher est ensuite décédé en octobre 1993.
Tout aurait pu en rester là, si Marylène Tintori, une fois la douleur surmontée, n’avait repris le problème à la base: «Je savais certes que Marc-Henri n’avait pas annoncé sa maladie et son incapacité de travail à la banque, mais je ne comprenais pas pourquoi, une fois la nouvelle connue et dûment certifiée par un médecin en novembre 1992, je devais encore payer plus de mille francs pour qu’il
puisse enfin bénéficier de son droit.» Parce que c’est le R-È-G-L-E-M-E-N-T!
Règlement contestable
Or, le règlement, estime l’avocate de Marylène Tintori, est pour le moins contestable. En décidant que la suspension des primes n’est accordée que si la maladie a été annoncée 40 jours (30 jours de carence + 10 jours de délai) après le début de l’incapacité de travail et qu’il n’y ait pas d’arriérés, la banque pénalise les clients gravement accidentés ou malades, puisque ce sont eux qui sont le moins à même de respecter ce genre de conditions. C’est tellement vrai que l’article 45 de la LCA (Loi sur le contrat d’assurance) prévoit que si les circonstances d’une faute ne sont pas imputables à un assuré, il n’encourra aucune sanction. Or, tel était le cas de M. Kocher au moins depuis novembre 1992, même si, cherchant à ne pas abuser de la clause du contrat permettant la libération du paiement, il a mis le peu de force qui lui restait à s’acquitter de ses obligations avant de ne vraiment plus rien pouvoir faire.
Assurer sans assurance
Marylène Tintori a donc demandé, par l’intermédiaire de son avocate, le remboursement de l’argent qu’elle a directement versé en 1993, mais aussi celui des primes payées à tort par son fils, partiellement grâce à son aide financière.
La banque Migros n’est pas entrée en matière, estimant que la clause permettant une libération des primes n’a rien à voir avec une assurance, comme c’est le cas dans la plupart des autres institutions bancaires. Et cela malgré qu’elle emploie au moins deux fois le verbe «assurer» pour vanter ce service dans sa publicité (lire le début du texte). Son représentant juridique souligne même que le règlement des crédits privés ne «fait nullement dépendre la libération de l’emprunteur d’une quelconque incapacité de celui-ci de s’occuper de ses affaires, mais uniquement de la connaissance, par la société de petits crédits, du décès ou de l’incapacité de travail totale de l’emprunteur». Plus simplement dit: l’information doit parvenir à temps, peu importe qu’on soit en condition de le faire ou non!
Un raisonnement curieux, mais soutenu par le Tribunal civil du district de Lausanne, qui l’approuve en mars 1999, mettant du même coup les premiers frais de justice à la charge de Mme Tintori.
«J’ai beaucoup de mal à accepter qu’on se serve de l’honnêteté de mon fils comme moyen d’échapper à ses obligations», était-elle alors venue nous expliquer. Elle se sentait donc prête, comme son avocate le lui proposait, à faire recours. Mais elle craignait les problèmes financiers que cela pouvait lui poser. Parce qu’il ne s’agissait plus d’une affaire personnelle, mais de la cause générale des consommateurs, nous avons décidé de soutenir son combat (lire l’encadré ci-dessous) et l’affaire est passée le mercredi 6 octobre devant les juges vaudois de la Chambre des recours.
Clause insolite
Par l’intermédiaire de son avocate, Marylène Tintori répétait que l’article 6 du règlement de la banque Migros déroge à une disposition impérative de la loi (LCA). Mais aussi qu’il fallait le considérer comme une clause appelée «insolite» par la loi sur la concurrence déloyale lorsqu’elle porte atteinte aux intérêts d’une personne sans qu’elle ait nécessairement pu le comprendre à l’heure de la signature. Or, en un tel cas, la personne est en droit d’exiger le remboursement de la somme versée à tort.
Les juges ont décidé du contraire, même s’ils étaient partagés (deux contre un). Impossible, selon eux, d’isoler une clause du contrat pour la faire dépendre du droit des assurances. Mais ils n’ont pas dit un mot sur le fait que la publicité déclinait plusieurs fois le verbe assurer. Ni sur la contradiction d’un règlement imposant un délai sans se préoccuper de savoir si on peut le tenir. Or, c’est bien là le fond du problème. La thèse de la clause insolite n’a, elle non plus, pas passé la rampe.
Marylène Tintori se retrouve donc à la case départ. Et avec elle tous les consommateurs. A défaut de trouver un soutien auprès de la justice, il leur faudra redoubler de vigilance. Et ne pas oublier de demander, avant de signer n’importe quel contrat de petit crédit, ce qu’il en est de la libération des primes en cas de maladie.
Deux questions à se poser
• Cette clausse est-elle considérée comme une assurance, comme dans de nombreuses institutions bancaires? En un tel cas, il y a peu de risques de se trouver confronté aux difficultés de Mme Tintori.
• Ou, au contraire, ne dépend-elle pas du droit des assurances? En un tel cas, et tant qu’il n’a rien signé, le consommateur a toujours la possibilité d’étudier d’autres propositions...
Christian Chevrolet
solidarité
Appel à tous les consommateurs
Les juges n’ont pas voulu suivre Marylène Tintori. C’est une décision lourde de conséquences pour tous les consommateurs.
Nous avons soutenu Mme Tintori dans son combat, car nous espérions faire évoluer favorablement la jurisprudence. Certes, en cas de victoire, la décision ne concernait que le canton de Vaud, mais elle aurait eu une énorme influence sur toute la Suisse romande. Les banques auraient dû en effet revoir leur règlement et plus personne n’aurait eu à faire face aux difficultés rencontrées par Mme Tintori.
La justice nous paraît injuste. Nous avons donc décidé de soutenir Mme Tintori jusqu’au bout, en prenant à notre charge tous ses frais de justice, qui se montent à près de 4000 fr.
Mais nous pensons aussi que cette affaire est également votre affaire. Voilà pourquoi nous lançons un appel à la solidarité de
tous les consommateurs et avons décidé de créer un «Fonds d’action juridique». Il permettra d’abord de rembourser Mme Tintori, mais aussi, par la suite, de soutenir d’autres cas tout aussi exemplaires.
Si, tout comme nous, vous estimez que Mme Tintori est victime d’une injustice et vous sentez solidaire du combat qu’elle a mené au nom de tous les consommateurs, vous pouvez verser votre participation, aussi minime soit-elle, sur un compte spécialement ouvert à cet effet (voir coordonnées ci-dessus). Nous vous informerons bien sûr en détail de son approvisionnement et de son utilisation.
Fonds
d’action
juridique
CCP 87-616251-7
Merci de votre soutien!