Après la vache folle et le bœuf aux hormones, le poulet et le porc à la dioxine! La Belgique cherche désespérément à se relever d’une crise agro-alimentaire sans précédent: des milliers d’exploitations sont en effet suspectées d’avoir produit de la viande, des œufs et du lait contaminés par de la dioxine. La plupart des pays, dont la Suisse, ont interdit leur importation, mais début juin seulement, alors que la contamination s’est faite durant les cinq premiers mois de l’année. Cela dit, nous mangeons tous quotidiennement de la dioxine, peut-être trop!
Qu’est-ce que la dioxine?
Il est plus juste de parler des dioxines: ce terme générique regroupe en effet plus de 200 molécules chlorées, dont 17 sont réputées toxiques (dont celles incriminées dans l’alimentation). La plus terrible est la TCDD, impliquée dans la catastrophe de Seveso, en 1976. Ces substances sont produites par toute combustion, avec ou sans feu, en présence d’oxygène, de carbone, de chlore et d’hydrogène. Un simple barbecue produit donc de la dioxine... Tout comme des phénomènes naturels: feux de forêt, décomposition des sédiments, etc. Mais 95% des émissions proviennent des industries métallurgiques et sidérurgiques, ainsi que des incinérateurs d’ordures ménagères. A noter que, suite à la modification de certains procédés industriels, cette forme de pollution a diminué de façon spectaculaire depuis les années 70 à 80.
En quoi la dioxine est-elle dangereuse pour notre santé?
L’Organisation mondiale pour la santé (OMS) reconnaît que les dioxines sont cancérigènes à long terme, ce qui n’est plus contesté et largement suffisant pour justifier les mesures prises suite à la contamination de la viande belge. En revanche, d’autres effets ne font pas l’unanimité chez les chercheurs, entre autres des dérèglements hormonaux, des troubles de la fertilité et une baisse des défenses immunitaires.
Comment la viande belge a-t-elle été contaminée?
Deux mois après la révélation du scandale, on ne le sait toujours pas exactement. On a retrouvé de la dioxine et du pyralène dans les cuves d’une société belge, spécialisée dans la collecte de graisses et d’huiles usagées, qui aurait mélangé des huiles industrielles et des graisses dites «blanches» (résultant de la cuisson de carcasses d’animaux et de déchets de boucherie). Mélange qu’elle aurait livré à deux autres sociétés s’en servant pour fabriquer de la farine animale. Farine qui a ensuite été livrée à de multiples intermédiaires entre janvier et fin mai, d’où la difficulté de savoir quels animaux en ont mangé, puis où la viande, ainsi que le lait et les œufs, ont atterri: boucheries, laiteries, crémeries, mais surtout fabriques produisant des aliments contenant de la viande, du lait, des œufs, etc.
Quels dangers si l’on a mangé de la viande contaminée?
Presque tous les aliments que nous mangeons sont contaminés par la dioxine depuis fort longtemps: les animaux broutent en effet une herbe «arrosée» par les rejets des incinérateurs, puis produisent des œufs ou du lait contaminé, etc. Or, 95% des dioxines stockées – pendant trente ans! – dans la graisse de notre corps sont d’origine alimentaire: un tiers provient des produits laitiers, un tiers des viandes et des œufs et le solde des poissons. L’OMS a donc fixé une limite au-delà de laquelle elle recommande d’interdire la vente et la consommation du produit: 5 picogrammes (pg: millionième de millionième de gramme) de dioxine par gramme de matière grasse.
Les scientifiques européens estiment qu’il existe une dose «inoffensive» de dioxine, qu’ils fixent à 1 pg par kilo de poids corporel par jour. A contrario, une absorption journalière supérieure à 10 pg pendant une longue période entraînerait des risques. Entre deux, il s’agirait d’une marge de sécurité. Mais lorsqu’il s’agit de cancérigènes, il ne devrait pas y avoir de limites. Tel est, par exemple, l’avis des Etats-Unis, qui ont biffé le mot «inoffensif» de leur vocabulaire en la matière.
Quoi qu’il en soit, le problème concerne surtout les enfants en bas âge, puisque le danger est proportionnel au poids. D’après un récent rapport du Conseil supérieur d’hygiène publique de France, les enfants nourris au lait humain peuvent ingérer des doses quotidiennes de 100 à 400 pg/kg de poids corporel, soit 100 à 400 fois plus que les valeurs européennes recommandées.
La Suisse a-t-elle importé des produits belges suspectés de contamination?
Oui. 51 tonnes de poulet, dont 10 tonnes ont pu être bloquées dans le stock d’un importateur; le solde a été vendu, principalement sous forme d’ailes découpées et conditionnées. Et 58 tonnes de produits à base d’œufs, dont on ne sait pas pour quels produits finis (pâtes, pâtisseries, mayonnaises, etc.) elles ont été utilisées. Et enfin, des produits contenant moins de 20% de viande belge en quantité inconnue. Selon les analyses de produits suspects (marchandises séquestrées) faites par la Confédération et les cantons durant les mois de juin et de juillet, le taux de dioxine restait dans les normes admissibles: entre 0,6 et 5 pg.
Trouve-t-on encore des produits contaminés sur le marché suisse?
Normalement, non. L’importation des viandes incriminées a en effet progressivement été interdite depuis début juin, date à laquelle les autorités suisses ont été informées de la contamination. Mais, comme expliqué ci-dessus, il est très difficile de savoir exactement où la viande contaminée a été utilisée. Il se peut que des producteurs l’aient intégrée dans leurs préparations sans que personne n’en sache rien.
Dans l’espoir d’endiguer la crise et de faire sauter l’embargo, le gouvernement belge a décidé que toute exportation de produits alimentaires contenant plus de 20% de matière grasse animale ne se ferait qu’après un test de dépistage. Mais le comité vétérinaire européen exige que tel soit le cas à partir de 2%, ce qui paralyserait toutes les exportations alimentaires belges. La Suisse, comme dans toute cette affaire, suivra le mouvement européen.
Comment savoir si la viande, ou un produit contenant de la viande, provient de Belgique?
C’est carrément impossible et c’est fort regrettable! L’ordonnance sur les denrées alimentaires est en effet très permissive, puisqu’elle autorise qu’un produit étranger transformé (coupé, épicé, etc.) en Suisse devienne miraculeusement suisse lui aussi! Les journalistes du SonntagsBlick ont ainsi récemment acheté de l’émincé de poulet «suisse» et ont pu prouver qu’il venait en fait de Chine et du Brésil...
Quel rapport avec la vache folle?
Aucun, heureusement, sur le plan de la santé. Mais une origine commune en revanche: la farine animale. On croyait que le scandale des vaches folles avait réussi à conscientiser les producteurs, on s’est largement trompé! En France par exemple, les inspecteurs des fraudes qui sont allés mettre leur nez chez quelques fabricants ont découvert l’inconcevable: des farines dans lesquelles on avait incorporé des boues des stations d’épuration, des résidus des fosses septiques et autres eaux de lavage des camions, rapporte l’Union fédérale des consommateurs.
Christian Chevrolet
bœuf aux hormones
La Suisse soutient l’oncle Sam
Alors que les Américains sont impitoyables avec la dioxine, ils montrent un laxisme stupéfiant vis-à-vis des hormones. Leur bœuf peut en effet être dopé à la somatropine bovine recombinante (Stbr), ce qui lui vaut un embargo européen depuis 1993 et du Canada depuis le début de l’année. La Suisse, en revanche, ne voit aucune objection à son importation!*
Sûrs de leurs droits et de leurs scientifiques, certains qu’un usage raisonnable des hormones de croissance n’est pas nocif, les Américains sont même passés aux représailles le 29 juillet, en frappant d’une taxe douanière de 100% de nombreux produits européens, allant de la viande à la moutarde, en passant par le roquefort!
Pourtant, sur la demande expresse de l’Organisation mondiale du commerce (où les Etats-Unis ont un poids prépondérant) de prouver la nocivité des hormones, la Commission européenne a remis, le 13 mai dernier, un rapport détaillé de huit experts de haut niveau, dont quatre américains. Ses conclusions indiquent que rien ne permet d’affirmer que l’administration de substances hormonales à des bovins peut être considérée comme une pratique dénuée de risques sanitaires pour les consommateurs. Des travaux récents démontrent même que la bêta-œstradiol, l’une des six hormones de croissance analysées, est clairement cancérigène.
En revanche, la question des seuils de concentration à partir desquels la présence des résidus hormonaux dans la viande représente un risque pour la santé reste ouverte. Elle sera reprise dans le rapport des travaux menés par dix-sept laboratoires européens et américains sur le sujet. La Suisse reste incrédule: l’importation reste-ra donc possible, quoi qu’il arrive!
*lire BàS 4/99.