Il paraît que les milieux économiques sont prêts à investir quelque 10 millions de francs dans la campagne sur l’avenir des rentes de la prévoyance professionnelle, soumis à votation le 7 mars prochain. C’est évidemment et scandaleusement énorme, mais ce ne sera franchement pas de trop pour tenter de décider les citoyens à accepter une deuxième baisse du taux de conversion, tant les arguments avancés à cette fin sont peu crédibles!
On le sait: les rentes du 2e pilier sont accordées en fonction du capital accumulé durant toute sa vie professionnelle, via des cotisations payées moitié par l’employé, moitié par l’employeur. A l’heure de la retraite, ce capital est multiplié par un taux de conversion pour déterminer la rente qui sera dès lors versée jusqu’au décès de l’assuré. Exemple, un capital moyen de 300 000 fr. donne aujourd’hui, en 2010, le droit à une rente à vie de 300 000 x 7% = 21 000 fr. par an, soit 1750 fr. par mois.
Le taux de conversion était, en 2005 encore, de 7,2%. Mais, à la suite d’une première décision du Parlement, il est en train de progressivement baisser et arrivera à 6,8% en 2014. Sans plus attendre toutefois, les autorités ont précipité le mouvement et décidé, à la fin de 2008, une nouvelle diminution pour arriver à 6,4%, vraisemblablement en 2016…
Trop, c’est trop! Nous avons donc, avec nos partenaires alémaniques K-Tipp et saldo ainsi qu’avec notre grand frère Bon à Savoir, initié un référendum pour s’opposer à cette deuxième baisse, signé par plus de 70 000 lecteurs. De leurs côtés, les syndicats et le PS ont récolté quelque 150 000 signatures, laissant dès lors le dernier mots aux assurés.
Deux arguments fragiles
Comment les caisses de pension, les assureurs et le Conseil fédéral justifient-ils cette deuxième baisse pour le moins précipitée? Par deux motifs principaux:
- la baisse des rendement financiers;
- l’augmentation de l’espérance de vie des citoyens suisses.
Le principe en soi est recevable. Nous venons en effet de vivre la pire décennie que la Bourse ait vécu et, incontestablement, la durée de vie après la retraite est en pleine expansion.
Ce que les caisses de pension oublient en revanche de préciser, c’est, d’une part, que l’horizon de placement du capital de la prévoyance professionnelle n’est pas de huit ans (soit la période entre 2001 et 2008 qu’elles retiennent dans le cadre de leur campagne), mais de 60 ans (40 ans de cotisations + 20 ans de prestations). Il n’y a donc vraiment pas péril en la demeure, bien au contraire, comme le démontre l’encadré ci-contre.
Et pourquoi pas l’éternité?
D’autre part, l’allongement de la durée de vie des futurs retraités a d’ores et déjà été prise en considération lors de la première baisse du taux de conversion. Et, quoi qu’en disent les milieux économiques, rien aujourd’hui ne permet de prétendre que les prévisions doivent, une fois encore, être revues à la hausse.
Pour créer un climat de crainte, les assureurs privés se fondent sur leur propre échelle de longévité, appelée GRM/F 95. Et le Conseil fédéral a sorti de sa besace, in extremis, l’échelle concoctée par la Ville de Zurich, appelée VZ 2005. Il en existe d’autres, notamment celle utilisée par les caisses autonomes (BVG 2005), mais aussi EVK 2000 et GST 1998/2003.
Ce tableau le démontre: il existe des différences de prévisions considérables entre toutes ces échelles (jusqu’à 3,4 ans pour les hommes et 6,7 ans pour les femmes). Or, comme par hasard, ce sont systématiquement les échelles affichant les durées de vie les plus longues qui sont employées pour justifier la deuxième baisse des rentes.
Selon GRM/F95, les hommes vivront donc jusqu’à 85,5 ans d’ici peu, et les femmes jusqu’à 92,1 ans. Pour arriver à un telle moyenne, il faut que plus de 50% des femmes vivent largement au-delà de 92,1 ans. Restons crédibles: c’est loin d’être le cas aujourd’hui et rien, sinon les prévisions volontairement alarmistes des assureurs, ne permet de prétendre que cela le deviendra dans les années à venir.
Autrement dit: il n’y a strictement aucune raison d’accepter, aujourd’hui, en 2010, une deuxième baisse des rentes du 2e pilier. Et, si la situation devait empirer, il sera toujours temps de prendre une décision, cette fois étayée, en 2013, puisque, désormais, le Conseil fédéral doit revoir le taux de conversion tous les cinq ans. Décision qui pourrait encore être appliquée en 2016 ou 2017.
Christian Chevrolet
Rendement moyen depuis 1985: 5,9%!
A en croire les caisses de pension, les marchés boursiers sont tels qu’il sera désormais impossible d’obtenir des rendements entre 4% et 5%.
Or, que démontre l’indice Pictet LPP-25, référence économique en matière de prévoyance professionnelle (télécharger le graphique)? Que, depuis 1985, date d’entrée en vigueur de la LPP, les caisses de pension qui ont placé leur argent avec un risque modéré (25% en actions) ont obtenu une performance moyenne de 5,9%, alors qu’elles n’avaient l’obligation de servir que 4% jusqu’en 2005, taux qui a ensuite été réduit progressivement à 2% aujourd’hui. Le solde aurait dû servir à faire des réserves pour les mauvaises années, comme les périodes entre 2000 et 2003 ou 2007 et 2008.
De plus, l’an dernier, ces mêmes caisses de pension ont affiché un rendement moyen de 11,74%, alors qu’elle ne devaient servir que 2%, tout comme en 2010 d’ailleurs! Voilà pourquoi les partisans de la baisse font volontairement l’impasse sur 2009 et limitent la période d’observation entre 2001 et 2008 pour déclarer qu’il est aujourd’hui impossible de dégager des rendements de 4% à 5% à long terme. Il n’est donc pas crédible, voire malhonnête, de limiter ces estimations à la pire période que la Bourse ait vécu, alors que l’horizon de placement du capital de la prévoyance professionnelle est de 60 ans (40 ans de cotisations + 20 ans de prestations).
A la fin de 2009, le taux de couverture des caisses de pension privées était de presque 105%. Cela représente un excédent de 20 milliards de francs. La situation générale n’est donc pas optimale, mais sous contrôle, avec une marge suffisante pour ne surtout pas prendre de décision précipitée et irréversible.