C’est l’hiver, la nature est au repos. Toutefois, si l’on s’arrêtait trop longtemps à l’intérieur des supermarchés, on oublierait presque la saison à laquelle nous vivons. Les étals des magasins semblent, en effet, demeurer indifférents aux changements climatiques. On y trouve actuellement des fraises, des asperges, des myrtilles et même des abricots. Frais, bien sûr.
En regardant les étiquettes de plus près, on s’aperçoit évidemment que ces produits n’ont pas poussés sous nos latitudes. Au-delà de ce simple constat, nous nous sommes demandé jusqu’où nos distributeurs sont capables d’aller pour nous procurer des fruits et légumes qui n’ont pourtant rien d’exotique, avec les effets néfastes sur l’environnement que l’on connaît. En collaboration avec l’émission On en parle (RSR, La Première), nous avons donc visité cinq grandes enseignes dans la région de Neuchâtel le 14 décembre dernier.
Ail chinois, raisin péruvien, etc.
Le fruit de cette enquête se trouve dans le tableau comparatif ci-contre. Nous y avons rassemblé les vingt produits totalement banals et disponibles sur les étalages de Carrefour, Casino, Coop, Manor et Migros – Denner proposant un choix trop réduit pour figurer dans ce comparatif. Quelques produits, intégralement d’origine helvétique, ne figurent également pas dans ce tableau (il s’agit des pommes, carottes, patates et autres choux).
Lorsqu’un magasin proposait plusieurs produits identiques mais de différentes origines, nous avons retenu la destination la plus éloignée, partant du principe que les consommateurs ne sont pas toujours attentifs aux provenances. En outre, certains emballages sont parfois mélangés de telle sorte qu’il n’est pratiquement pas possible de s’apercevoir de la divergence des pays d’origine.
Résultat: la provenance de certains fruits et légumes des plus communs est vraiment surprenante. Par exemple, Migros va jusqu’en Chine pour trouver des gousses d’ail, Coop et Manor jusqu’au Pérou pour des grappes de raisin. Sans compter les haricots qui proviennent du Kenya dans les cinq magasins, ni les herbes aromatiques, israéliennes ou marocaines pour la plupart.
Saison n’est pas raison
Le comptage kilométrique (purement indicatif et mesuré à vol d’oiseau) mentionné pour chaque légume montre que les vingt produits ont parcouru un total – et c’est le plus court – de 22 300 km chez Casino. A l’opposé, ceux de Migros ont sillonné 48 675 km.
Rien d’exotique, si ce n’est la provenance
Hormis les fruits et légumes de ce comparatif, nos enquêteurs en ont trouvé quelques autres, propres à chaque magasin mais aux origines tout aussi étonnantes: Carrefour offre indifféremment des kiwis d’Italie et de Nouvelle-Zélande (mais nous annonce vouloir désormais se limiter à l’Italie); Migros ne rechigne pas à transporter en avion des asperges du Pérou, tout comme Coop d’ailleurs. Cette dernière propose aussi des abricots d’Afrique du Sud et des fraises de Palestine. Enfin, Manor n’a pas trouvé plus proche que l’Afrique du Sud pour obtenir des mini-carottes, des mini-courgettes et des myrtilles. Et que dire de ses mûres mexicaines et des fraises israéliennes?
La faute au climat
Toutes ces indications ont été communiquées aux représentants des enseignes concernées. Leurs réponses se rejoignent: la production locale est toujours prioritaire (et d’ailleurs protégée par la loi en période de production helvétique), mais dès que le climat suisse ne permet plus de récoltes, les distributeurs ouvrent les vannes de la production étrangère.
Manor assure que «l’accent est mis systématiquement sur les produits locaux et de saison», sans s’attarder sur les fraises et les mûres. Et avise encore que, «en hiver, une gamme uniquement suisse reviendrait à proposer des choux, oignons, carottes, poireaux et pommes de terre stockés depuis l’automne».
Et le rôle des consommateurs?
Il ne fait aucun doute que, sous nos latitudes, la production végétale est rarissime en hiver. Mais cela n’explique pas totalement les choix des magasins.
Ces derniers dénoncent aussi unanimement les exigences de la clientèle. Par exemple Casino: «Comment pourrait-on accepter de ne pas avoir de tomates à cette période? Nous devons satisfaire la demande du consommateur». Ou encore Carrefour: «Nous devons nous adapter à la demande de nos clients. Ils veulent des fraises et d’autres produits pratiquement douze mois sur douze».
Le WWF pas d’accord
Certes, les envies des consommateurs ne sont pas étrangères au lancement de ce mouvement, mais la machine s’est emballée et les commerces vont toujours plus loin pour garder une longueur d’avance sur leurs concurrents, générant une surconsommation d’énergie.
Invité à commenter les résultats de notre enquête, le WWF Suisse indique, par exemple, qu’une botte d’asperges importée par avion du Mexique nécessite 5 litres de pétrole, contre 0,3 pour des asperges suisses au printemps. Toujours par avion, 1 kilo de fraises d’Israël utilise 4,9 litres de pétrole. Les fraises suisses n’en nécessitent que 0,2 litre en été, donc 25 fois moins!
Pour l’association écologiste, les distributeurs devraient afficher plus clairement la provenance sur les étiquettes, mais aussi les émissions de CO2 générées ou le pétrole utilisé pour produire et acheminer les fruits et légumes.
Et pour les consommateurs qui ignorent précisément les saisons de production indigène, le WWF publie, sur son site, un calendrier des fruits et légumes à télécharger gratuitement (www.wwf.ch > Conseils quotidiens > Alimentation). Car manger local, c’est aussi préserver la planète.
Yves-Alain Cornu