Depuis le début des années 90, l’ostéopathie a incontestablement le vent en poupe, en Suisse romande du moins. Posez la question autour de vous: il se trouvera à coup sûr un proche pour vous raconter comment, en deux ou trois séances, un praticien a pu débloquer une situation contre laquelle un médecin n’avait rien pu faire.
Alors quoi? L’ostéopathie contre la médecine classique? «Surtout pas, répond sans hésiter Arnaud Rey-Lescure, ostéopathe vaudois et président de la Société suisse des physiothérapeutes diplômés en ostéopathie (SSP-DO).
Nous sommes non seulement complémentaires mais indispensables l’un à l’autre. A chacun son rôle: la médecine s’occupe des affections organiques, nous des affections fonctionnelles mécaniques.»
Bilan mécanique
Mécanique, le mot est lâché. En fait, l’ostéopathie traite, grâce à des techniques manuelles (mouvements, pressions, massages...), les affections fonctionnelles mécaniques d’un muscle, d’un viscère, etc. Mais elle ne se contente pas
de traiter le symptôme qui amène le patient à demander des soins, elle
cherche la cause du problème pour la traiter aussi. «Lorsqu’un petit voyant rouge s’allume sur le compteur d’une voiture, explique Arnaud Rey-Lescure, ce n’est que la conséquence d’un autre problème. Il faut parfois aller à l’autre bout du véhicule pour remettre un peu d’huile quelque part. De même qu’un garagiste dispose d’outils et de modes d’emploi afin de diagnostiquer la panne et faire les réparations nécessaires, nos connaissances de l’organisation mécanique du corps nous permettent de faire un bilan, mécanique lui aussi, et d’intervenir au bon endroit.»
Comprendre la douleur
Un exemple concret: une personne fait un «faux mouvement». Pour soulager la douleur, il va, par exemple, pencher le tronc à droite, rendant sa position doublement inconfortable. De façon automatique, il risque bien d’«organiser» une compensation à ce nouveau problème avec une inflexion inverse (à gauche) de la région cervicale. Quelques semaines plus tard, il demandera des soins pour des douleurs cervicales dues à cette ultime compensation, sans plus penser à la première correction due au «faux mouvement». Une seule intervention cervicale n’aurait alors aucun effet à long terme, puisque son origine se trouve à un tout autre endroit. L’ostéopathe va donc devoir remonter «l’histoire» de cette douleur pour intervenir simultanément à toutes ses étapes.
Formation en cause
Tout cela paraît tellement logique qu’on se demande pourquoi la médecine classique (allopathie) peine tant à l’admettre. La très puissante Fédération des médecins suisses (FMH), mais aussi la Faculté de médecine de l’Université de Lausanne refusent en effet que les ostéopathes soient inclus dans la liste des professions médicales, comme le prévoit un nouveau projet de loi. Principale raison invoquée:
la formation.
En fait, l’Uni et la FMH voudraient que les ostéopathes soient diplômés de médecine, puis fassent une spécialisation, comme le font de nombreux homéopathes. L’idée étant que les ostéopathes puissent faire un diagnostic d’exclusion, pour éviter de passer à côté d’une pathologie qu’ils ne peuvent soigner, un cancer par exemple. Et là, les médecins jouent sur du velours, car les quelque 200 ostéopathes recensés en Suisse ne sont eux-mêmes pas d’accord sur la question. Il existe en fait deux «camps».
• Le premier comprend des physiothérapeutes et (rarement) des médecins qui se sont spécialisés en ostéopathie (la plupart affiliés à la SSPDO ou à la SAOM). Ses membres estiment qu’un ostéopathe doit se limiter à
un diagnostic ostéopathique et laisser aux médecins le soin de faire un diagnostic d’exclusion. Mais cela ne veut
pas dire pour autant qu’un patient doit d’abord passer chez un médecin avant de
se rendre auprès de l’ostéopathe.
• Le deuxième comprend les praticiens inscrits au Registre suisse des ostéopathes et les diplômés de l’Ecole suisse d’ostéopathie. Ses membres estiment que l’ostéopathie est bien plus qu’une thérapie manuelle et que les six années d’études suivies à Belmont (VD) leur permettent de faire un diagnostic d’exclusion. «Mais nous ne nous substituons pas aux médecins, assure Bernard Ebenegger, directeur adjoint de l’ESO: il nous arrive constamment de leur envoyer des patients dont les pathologies sortent du champ ostéopathique.»
Au-delà des mots et des définitions, la différence n’est donc pas flagrante. Et en mettant les pieds contre le mur, la FMH et l’Uni ont peut-être rendu un fier service à l’ostéopathie: les deux «camps» ont en effet serré les coudes et se rencontrent désormais régulièrement pour défendre leur profession. Une profession qui, soit dit pour conclure, exerce des soins qui ne sont remboursés que par une assurance complémentaire.
Christian Chevrolet